lundi 14 août 2017

La question du lundi n°48 : Que fait et où va Square Enix avec ses licences ?


Derrière les bons résultats financiers de la compagnie, l’année qui vient de s’écouler ne fût pas de tout repos pour Square-Enix. Que ce soit l’accueil critique mitigé de Final Fantasy XV, les fours commerciaux des derniers Tomb Raider et Deus Ex (avec une mise au frigo de la licence pour ce dernier), la séparation d’avec Io Interactive (les créateurs d’Hitman), les erreurs de communication sur Kingdom Hearts III et Final Fantasy VII Remake, on peut légitimement se demander que fait et surtout où va Square-Enix ?

La question n’est hélas pas nouvelle à bien des égards : entre la fusion des deux géants Enix et Squaresoft en 2003 et le difficile virage des consoles dites HD (Xbox 360 et PS3) des années suivantes, voici bien dix ans que l’entité Square-Enix se cherche. La diversification de ses activités et notamment son expansion à l’international via le rachat de Eidos, Crystal Dynamics et Io interactive permirent dans un premier temps de cacher l’errance de la maison mère avec ses propres licences japonaises.
Rappelons qu’il faille remonter au dixième épisode de Final Fantasy pour que celui-ci fasse l’unanimité auprès des fans et de la presse (nous écartons ici volontairement le cas de Final Fantasy XIV de par son statut particulier de MMORPG), que Kingdom Hearts n’a pas eu d’épisode majeur et sur consoles de salon depuis plus de dix ans et que Dragon Quest continue son petit bonhomme de chemin mais a bien du mal à s’imposer en occident à cause de son côté old school assumé.
Et si le calvaire Final Fantasy Versus XIII sortit en fin d’année sous le chiffre XV est enfin passé, les anciens démons de Square-Enix ne sont jamais bien loin : sa propension à communiquer bien trop tôt dans la production de ses jeux lui cause bien des tracas auprès de sa base de fan, souvent exaspérés par l’attente démesurée que génèrent des années de communication sporadique et forcément un peu mensongère.
De fait si Kingdom Hearts III prends autant de temps à sortir, c’est que le projet à longtemps été gelé pour que les équipes de développement gèrent d’autres arlésiennes. C’est là l’un des principaux problèmes de la boîte : son inconstance dans la gestion de son personnel et de ses auteurs, souvent amenés à jouer les pompiers durant des années pour sauver tels ou tels jeux qui peinent à sortir et s’enlisent dans une production interminable à la fois coûteuse pour la firme et dommageable pour son image de marque.
Hélas les erreurs stratégiques de production ne sont plus dorénavant un apanage nippon : entre l’aberration de choisir l’exclusivité temporaire (de un an) sur Xbox pour Tomb Raider (alors que la licence s’est toujours mieux vendue là ou elle est née, sur Playstation), le charcutage en règle du dernier Deus Ex sur l’autel du DLC couplé à une communication désastreuse (en voulant vendre le jeu pour ce qu’il n’était pas, un banal FPS) et le saucissonnage du dernier Hitman en format épisodique (qui a pourtant accouché d’un bon jeu, hélas pas assez vendu au vu des attentes souvent démesurées de Square sur la licence), c’est à ce demander si Square Enix, ou plutôt ses dirigeants et le service marketing, sont capables de se remettre en question et surtout d’apprendre de leurs erreurs…

Alors que nous réserve l’avenir me direz-vous ? Son président Yosuke Matsuda l’a annoncé : ce qui maintient l’entreprise vient des bonnes performances de Final Fantasy XIV et Dragon Quest X, deux épisodes de leurs plus vieilles licences qui se jouent exclusivement en ligne et pour lesquels il faut payer un abonnement. Rien d’anormal à voir la firme se diriger vers la nouvelle mode du moment, digne ersatz d’un mariage entre MMO et DLC : les jeux en tant que service. A savoir des jeux que vous achetez et qui vous proposeront un contenu sous forme saisonnier (nouveaux niveaux, objets, armes, tenues, campagnes scénarisées, modes de jeu en ligne, etc) bref des jeux qui vous forcent à rester dessus et à y jouer sur le long terme, générant des profits plus réguliers et stables à l’entreprise tandis que vous crachez au bassinet bien au-delà d’un jeu classique.
Le problème d’une telle formule c’est qu’il y a beaucoup de monde pour peu d’élus. Le temps alloué à ce type de jeu fait que les joueurs s’y consacrent quasi-exclusivement tout comme pour les MMO en leur temps ou les jeux free-to-play sur mobiles récemment pour les joueurs occasionnels… bis repetita à venir ? La principale inquiétude pour les fans est d’imaginer un épisode numéroté de Final Fantasy (le prochain étant le numéro XVI) adopter cette recette. Il est en effet plus évident de partir avec une licence forte et reconnue plutôt que de partir de zéro surtout dans un milieu aussi risqué et concurrentiel. Preuve en est de la politique de Square Enix qui expérimente déjà ce système avec FFXV : en plus des 3 DLC payants prévus pour le jeu, une multitude de contenu annexe gratuit et parfois éphémère (festival chocobo mog, quêtes de chasse) est proposé au joueur régulièrement, comme si les équipes s’entraînaient déjà pour la prochaine itération de la saga. Ajoutez à cela que le réalisateur pressenti pour le seizième épisode n’est autre que Naoki Yoshida celui qui a redoré le blason de FFXIV… le MMORPG. De là à imaginer FFXVI en tant que jeu service, il n’y a qu’un pas que nous osons franchir allégrement.
Alors est-ce à dire que tout est pourri et noir au royaume de Square-Enix ? Certes la firme a, nous l’avons vu, des problèmes identitaires depuis sa création et une méthode managériale plus que douteuse. Mais il faut hélas voir cela comme son ADN et non pas une crise passagère. La société a évolué, ainsi que l’industrie du jeu-vidéo. Et même si ses gérants semblent avoir compris que son public souhaite de vraies productions nippones et occidentales (notamment par le biais de productions plus modestes que les triple A), ils ne peuvent s’empêcher d’embrasser les grandes tendances du jeu-vidéo mondial avec, comme toujours, un train ou deux de retard.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire