C'est
sans doute l'une des meilleures histoires de vampires qu'il m'ait été
donné de lire, et je tiens vraiment à vous la faire partager car on
trouve très peu de récits de cette qualité et de ce niveau
d'excellence (selon moi). Écrite par Barbara Hambly (une femme
extrêmement active et intelligente, partageant à l'époque son
temps entre sa carrière d'écrivain, de scénariste pour séries
littéraires telles Star
Wars,
Star
Trek
ou son bébé Darwath,
professeur d'Histoire Médiévale en faculté à ses heures et
également de karaté, ainsi que modèle. Respect.) en 1988, Le
Sang d'Immortalité
nous entraîne dans un récit captivant de bout en bout, où se
mêlent intrigues romanesques et fantastiques, au diapason de
l'horreur dans sa plus pure tradition héritée de l'ère
Victorienne. Avec aussi beaucoup de mise en abîme, de réflexion
interne sur le récit vampirique en cette fin de siècle et sur toute
cette culture folklorique dont il est issu, ainsi qu'une farouche
volonté de briser les clichés et les facilités du genre dans
lesquels il s'enfonce depuis des décennies. Oubliez les vampires qui
brillent, oubliez les amours à l'eau de rose, ici nous entrons dans
un univers sombre, cruel, cynique et froid dans lequel les vampires
sont de redoutables prédateurs jouant sur leur anonymat parmi nous,
au sein de notre société civilisée ; dans lequel la séduction
tient un rôle primordial, presque hypnotique, et où chaque parole
exprimée peut dissimuler une toute autre vérité. Un monde de
charisme, aussi, un monde de manières et de charme, de prestance,
d'éducation.
Début du XXème siècle, l'an 1907. James Asher,
autrefois ''agent de renseignement sous couverture'' pour le
gouvernement britannique, aujourd'hui simple professeur d'ethnologie
et linguistique à Oxford et marié à une jeune femme admirable en
tous points, découvre en rentrant chez lui un soir une singulière
surprise. Toute sa maisonnée est profondément endormie, comme
envoûtée, un silence de mort plane sur la demeure et une aura
ténébreuse semble émaner de l'atmosphère, inspirant tout en même
temps la peur et l'apathie. Dans son bureau, un homme, d'aspect tout
à la fois jeune et ancien, très ancien même, des plus distingué
et élégant, l'invite à écouter une étrange proposition, qui
commence d'emblée par cette révélation :
« Mon
nom est Don Simon Xavier Christian Morado de la Cadena-Ysidro, et je
suis ce que vous appelez un vampire. »
Délire d'un psychopathe jouant avec sa victime avant
de massacrer tous les habitants de la maison au couteau ? Jeune
imbécile cherchant à faire peur ? Mauvaise blague ? Ou
bien n'est-ce, comme Asher craint de le ressentir, que la stricte
vérité dévoilée sans aucun artifice ? Celui qui se fait
ainsi appeler Ysidro dit tenir en son pouvoir tous les proches
d'Asher, sous son emprise mentale, et être disposé à les relâcher
s'il consent à lui rendre un service, un service que seul un homme
possédant ses compétences et ses connaissances, un esprit ouvert
par ses années d'espionnage et de recherches folkloriques dans toute
l'Europe, puisse appréhender sans détaler en hurlant de terreur. La
communauté des vampires de Londres, relativement ancienne et très
bien implantée dans la cité, dans le plus grand secret cela va de
soit, est en émoi depuis quelques temps après la découverte de
plusieurs corps carbonisés dans leurs cercueils. La conclusion
première : quelqu'un entreprend de tuer les vampires un par un
en découvrant leurs cachettes et en les exposant à la lumière du
soleil, sans aucun moyen de se défendre ou de se protéger. Ysidro
se tourne vers Asher, contre l'avis de ses semblables, pour lui
demander de mener l'enquête sur ces meurtres et de retrouver
l'assassin avant qu'il ne frappe à nouveau, ou du moins avant qu'il
ne commence à faire des dégâts trop importants. Pourquoi lui ?
Pourquoi pas un vampire pour exercer cette vengeance ?
Eh bien parce que ce mystérieux tueur, qui sait
exactement où chercher et comment atteindre ses victimes, exerce ses
méfaits de jour, lorsque les vampires sont plongés dans leur sombre
sommeil au sein de leurs antres, attendant la nuit prochaine pour
revenir à la vie et se nourrir. Et donc, il faut un mortel pour
pouvoir traquer ce tueur durant la journée, mais aussi et surtout
pour veiller à ce qu'aucune autre cachette de vampire ne soit violée
durant ce laps de temps. Ysidro remet entre les mains d'Asher le
destin et la survie de son espèce à Londres, lui révélant coup
sur coup que les vampires existent bel et bien, se nourrissent chaque
nuit du sang et de la mort de dizaines d'innocents, et que cela dure
dans le plus grand secret depuis bien des siècles. Chacun est à lui
seul responsable de plusieurs milliers de décès, de disparitions et
d'horribles assassinats à travers l'Histoire. Ce sont des monstres,
de vrais monstres, des prédateurs, soudainement menacés par quelque
chose qu'ils ne comprennent pas et qui les effraie. Bien entendu,
Asher songe tout d'abord à laisser ces infernales créatures payer
le prix de leurs crimes et brûler toutes au soleil, avec la grâce
du tueur, pour libérer le monde de leur présence et du mal qu'ils
infligent. Mais le jeu est double : si Asher possède toutes ces
informations sur les vampires désormais, remises par l'un des leurs,
il est vrai également que les vampires connaissent désormais tout
de lui en retour : sa vie, ses foyers, ses proches, sa famille,
sa femme. Si Asher fait mine de vouloir s'enfuir, ou de trahir les
vampires et de rejoindre la noble quête du tueur diurne, il suffira
d'un seul d'entre eux pour détruire toute sa vie en l'espace d'une
seule nuit. Ysidro s'en remet ainsi à Asher, semblant se confier à
lui, mais ses crocs ne sont jamais loin de sa gorge et n'attendent
qu'un seul dérapage pour agir et ôter la vie, à lui comme à
toutes les personnes qui l'entourent et qui ignorent tout de cette
situation. Ce mortel jeu d'ombres, entre vérité et mensonges, entre
dissimulations et tromperies, quelles qu'en soient les conséquences,
va changer la vie de James Asher à jamais. Car à présent, il sait
ce qui rôde la nuit, dans les ténèbres. Il sait que les légendes
sont en parties vraies, qu'un prédateur impitoyable se terre dans le
noir et attend sa pitance chaque fois que la Lune se lève. Et
aujourd'hui, il sait aussi qu'il devra protéger ces créatures,
quitte à y perdre son âme.
Tout est de très haut niveau dans ce roman, qu'il
s'agisse des personnages (Ysidro est sans doute le vampire le plus
charismatique qui soit, incarnant et déjouant à la fois la plupart
des idées reçues et des stéréotypes, et souvent mis en
contradiction avec ses pairs plus frustres et brutaux), de
l'atmosphère lourde de cette ère d'industrialisation massive en
cette veille de Première Guerre Mondiale, des ''décors'' que l'on
imagine avec la plus grande aisance tant les descriptions sont à la
fois précises et discrètes, du fonctionnement de cette société du
début du XXème siècle, de l'extrême précision apportée à
certains détails et aux réflexions d'Asher sur son dilemme et sur
la vraie nature des vampires, etc. Il s'agit d'un thriller, d'une
enquête presque policière dans un contexte fantastique voir
horrifique, où rien n'est jamais vraiment ce qu'il paraît et où
tout peut basculer d'un instant à l'autre. C'est une histoire qui
m'a totalement passionné, par tous ces aspects et bien d'autres
encore que je vous laisse découvrir si jamais cette lecture vous
intéresse. On sent l'influence de la professeur d'Histoire de niveau
universitaire, de la chercheuse autant que de la romancière, qui se
demande comment fonctionnent et évoluent ces créatures irréelles
qu'elle met en scène, qui lève le voile sur les mystères dans
l'ombre de ces êtres maléfiques et nous apprend, en même temps
qu'Asher, à mieux les connaître, ou à les craindre davantage. On
découvrira que les vrais monstres ne sont pas forcément ceux que
l'on croit, ou pas totalement, et que rien n'est tout blanc ou tout
noir.
Pour en revenir spécifiquement aux personnages, qui
sont la plus grande force de cette histoire, ils sont développés
dans le digne héritage de l'auteur Anne Rice et de ses célèbres
chroniques, dont je vous parlerai bientôt. Tous sont uniques, ont
leur propre caractère et leur propre fonctionnement, tous jouent à
différents niveaux au même jeu mortel du chat et de la souris avec
Asher ou entre eux ; ils sont tous extrêmement complexes et
étudiés, en somme, et tous criants de naturel. Mention spéciale
aux personnages féminins, et pas forcément les vampires, puisque
Lydia la femme de James Asher aura également un grand rôle à jouer
au sein de ces deux histoires. Femmes fortes, indépendantes,
intelligentes, douces comme terrifiantes, elles représentent à
elles-seules toute la complexité de ces récits et de leur écriture,
des multiples intrigues qui se croisent et s'entrecroisent sans
cesse. Ce n'est pas forcément un hasard si l'auteur a choisi de
donner à son vampire principal, Don Ysidro, des traits de caractère
et de comportement que l'on pourrait fort bien attribuer à l'esprit
féminin dans tout son génie critique.
Qu'ai-je
écris, au juste ? Plusieurs histoires ? Eh oui, car dans
cette édition (parue chez Mnémos dans leur collection ''Icares'' en
Mars 2010) se trouve aussi le roman faisant suite au Sang
d'Immortalité,
intitulé Voyage
avec les Morts
et développant de nouvelles relations entre les mêmes personnages,
Asher, Lydia, Ysidro et d'autres vampires Londoniens, dans un
contexte encore plus sombre et tortueux que précédemment et en
approfondissant encore davantage toutes les qualités et voies de
réflexions du premier. Un diptyque excellent, complet et fort
sympathique au demeurant, qui se lit assez facilement malgré sa
complexité et qui a le mérite, en plus de bien d'autres, de poser
au lecteur des questions d'ordre éthique et intellectuel sur la
littérature vampiriques et ses personnages, ses clichés et ses
mauvaises habitudes. A la place d'Asher, par exemple, qu'auriez-vous
fait ?
C'est donc un récit de très grande qualité, toujours
selon mon avis bien entendu, que j'ai vraiment adoré et que je
recommande chaudement, c'est peut-être même mon gros coup de cœur
parmi ces 9 articles que je vous livre ce mois-ci sur les vampires.
Enfin, l'un de mes plus gros en tout cas, car le meilleur reste
encore à venir.
« Take
my hand, the best is yet to come. »
Sur ce, je vous laisse vous faire votre propre avis et
je vous souhaite une excellente lecture, en espérant vous retrouver
bientôt pour un nouvel article !
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