Jennifer
Walters, avocate brillante exerçant seule dans son cabinet privé de
Los Angeles, n'a pas toujours eu la vie facile. Étudiante très
sérieuse et impliquée, elle n'a pratiquement pas de vie privée et
a perdu sa mère assez jeune, tandis que son père, le shérif de la
ville, s'est de plus en plus consacré à son travail en délaissant
sa fille. Du reste, Jennifer n'a pas ce que l'on pourrait appeler une
personnalité marquante : toujours à l'écart, jamais vraiment
reconnue pour son talent par sa profession, elle passe le plus clair
de son temps à se battre pour obtenir les mêmes droits que ses
homologues masculins qui ne se privent pas de la rabaisser à la
moindre occasion.
Tout
change quand elle doit plaider durant une sombre affaire de trahison
mafieuse. Des gangsters armés l'attendent devant chez elle et font
feu à son arrivée, lui logeant une balle dans le dos qui la
condamne irrémédiablement. Du moins en temps normal, car Jennifer a
quelque chose que les autres n'ont pas : un cousin super-héros !
Ou peu s'en faut, puisqu'il s'agit de Bruce Banner, alias
l'incroyable Hulk ! Ce-dernier était présent auprès d'elle
lors de la fusillade et décide sans plus tarder de lui transfuser
son propre sang pour la sauver, en attendant les secours et une vraie
hospitalisation. Une décision qui aura rapidement de très lourdes
répercussions...
Si
Bruce disparaît juste après cet événement, Jennifer, elle,
reprend conscience tout en sentant que quelque chose en elle n'est
plus tout à fait comme avant. Elle ressent une sorte de force
primale en elle, dans son corps comme dans son esprit, un aspect de
sa personne qui ne demande qu'à éclater au grand jour. Quand les
gangsters reviennent pour l'achever sur son lit d'hôpital, c'est le
drame : la petite Jenny se transforme soudain en une puissante
et redoutable femme à la peau verte iconique, et leur colle une
dérouillée dont ils se souviendront longtemps ! La sauvageonne
s'évanouit dans la nature tandis que Jen est retrouvée pantelante
non loin de là. Miss Hulk était née !
A
la différence de son cousin caractériel, Jen garde le contrôle de
ses actes et de ses pensées, d'elle-même, quand elle se transforme.
Elle devient simplement plus ''sauvage'', ce qui lui vaudra son
premier surnom officiel. Il faut entendre par là qu'elle est
davantage sûre d'elle, extravertie, forte au-delà de toute mesure
et surtout fière et indépendante. Une vraie femme libérée, le
cauchemar de toute bonne société patriarcale qui se respecte. Bien
vite, Jen prend une décision radicale : ce qu'elle ne peut
résoudre dans un tribunal, Miss Hulk le réglera avec ses poings !
C'est
le début d'une longue carrière de super-héroïne non reconnue par
les forces de l'ordre, dont son père est à la tête, et qui se
mettent dès lors à sa poursuivre à la moindre de ses apparitions.
Très vite suspectée de meurtre après un tragique accident qui la
prive de sa meilleure amie, Jen commence à douter du bien fondé de
ses actions en tant que Miss Hulk, un doute qui disparaît toutefois
bien vite quand elle redevient la géante de jade avec toute son
assurance. Traquant les criminels et les gangsters à travers toute
la ville, Miss Hulk devient rapidement le fléau de la pègre locale
et se fait un tas d'ennemis aussi divers qu'imprévisibles.
En
parallèle, il y a ce triangle amoureux entre Jen et son ancien
protégé et voisin, Zapper, qui n'ose avouer ses sentiments à sa
baby-sitter d'autrefois maintenant qu'il est devenu homme. Zapper est
le seul qui connaisse la vérité au sujet de Jennifer et de Miss
Hulk, ce qui en fait un allié providentiel mais également un ami
par défaut, inapte à toute autre relation. D'un autre côté, quand
Jennifer croise la route de Richard Rory, un malchanceux devenu
subitement riche et voulant faire le bien autour de lui, elle est
séduite intellectuellement par cette âme charitable et accepte de
nouer une certaine romance avec lui, au grand dam de Zapper qui se
met à ruminer dans son coin.
Il
faut aussi compter sur la constante opposition des actes de Miss Hulk
avec la loi et l'ordre voulus par le shérif, le propre père de
Jennifer, qui verrait bien cette criminelle en puissance sur la
chaise électrique le plus tôt possible ! Plus Miss Hulk
devient célèbre, plus elle fait parler d'elle, et plus le shérif
Walters le vit mal et se plonge à corps perdu dans son travail,
oubliant cette fois-ci totalement sa fille déjà fortement négligée
par le passé, alors même que celle-ci voudrait lui avouer son
secret pour qu'ils puissent mieux se comprendre.
Miss
Hulk peine à trouver un véritable équilibre dans ses deux vies et
surtout dans l'enchaînement de ses adversaires, aucun ne se montrant
vraiment à la hauteur. Quand il s'avère soudain que sa transfusion
sanguine lui a aussi provoqué une maladie génétique gravissime,
elle ne peut se tourner que vers le premier expert sanguin à sa
portée, nul autre que le Dr. Michael Morbius, meurtrier de masse
tentant de se soigner lui-même et purgeant déjà une peine
exemplaire. Grâce à son aide et à celle de Zapper, Miss Hulk sera
bien vite rétablie et capable désormais de se changer à volonté
en l'une ou l'autre de ses identités, pourvu qu'elle soit prête à
encaisser la douleur en retour. Morbius quant à lui se condamne par
cette bonne action à poursuivre sa quête vaine de remède à sa
propre condition, tout en étant plus ou moins sorti du couloir de la
mort grâce à la plaidoirie de Jennifer en sa faveur, sa peine étant
commuée en prison à vie. Un autre petit détail qui fera s'éloigner
encore davantage le père et la fille, déjà en froid, quand ils
réaliseront qu'ils n'ont pas tout à fait la même conception de la
Justice.
Par
la suite, les aventures se succèdent, se suivent et se ressemblent
un peu toutes, jusqu'à l'arrivée d'un super-vilain véritable qui
menace très sérieusement les deux vies de Jennifer Walters et Miss
Hulk. Ayant enfin son propre ennemi juré à combattre, l'Amazone
verte se lance à corps perdu dans la bataille, essuyant trahisons et
déconvenues les unes après les autres, tandis que ses deux
compagnons font tout leur possible pour tenter de la raisonner et, en
désespoir de cause, décident de révéler son secret au shérif
Walters pour lui sauver la vie. L'ultime chapitre de cette saga
finale marquera un tournant dans la vie de cette héroïne d'un genre
nouveau, car Jennifer Walters décidera en son âme et conscience de
rester Miss Hulk pour de bon cette fois-ci, estimant qu'elle est
ainsi davantage libre et épanouie tout en continuant de servir la
loi d'une certaine façon.
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Au
départ, tout part d'un simple constat purement commercial : la
série-télé de L'incroyable Hulk bat
tous les records de popularité, et au début des années 1980 Marvel
réalise que certains concurrents pourraient être tentés de créer
leur propre version alternative du personnage, si ce n'est les
showrunners de la série elle-même qui l'envisagent sérieusement.
Stan Lee revient alors en urgence pour pondre un scénario iconique,
inventant une cousine à Bruce Banner et la transformant en un seul
et même chapitre en l'alter-ego du Hulk si populaire. Et PAF, voilà
comment on verrouille un copyright ! Maintenant que Miss Hulk
existe sur papier, personne n'a plus le droit de l'inventer ailleurs
ou de la copier sans l'expresse autorisation de Marvel, pas très
enclins à partager.
Stan
the Man ayant fait son office, il repart à la vie civile l'esprit
bien tranquille. Mais du coup la Maison des Idées se retrouve avec
un petit problème : maintenant qu'un nouveau personnage existe,
il faut lancer sa propre série et le faire vivre un minimum pour
maintenir les droits ! On fait alors appel à un autre vétéran
de la grande époque, David Anthony Kraft, pour accomplir cette tâche
avec l'aide de l'artiste Mike Vosburg et de plusieurs petites mains.
Ainsi naît véritablement la série The Savage She-Hulk,
qui se poursuivra durant vingt-cinq numéros avant des adieux
déchirants au bout de deux ans de parution environ. Durant cette
période, Kraft et Vosburg auront développé Miss Hulk au-delà des
attentes de l'éditeur, en en faisant une véritable icône du
féminisme brutal post-révolution des mœurs, et en y ajoutant déjà
beaucoup d'humour et parfois de cruelle ironie. La sauce Marvel prend
toujours, du moins un certain temps, et dans le courrier des lecteurs
les fans s'écharpent régulièrement autour de la question de la
légitimité d'un titre She-Hulk
et de ses qualités ou défauts les plus évidents. Les artistes en
prennent très souvent pour leur grade, mais dans l'ensemble ça
reste bon enfant et l'aventure se terminera certes par manque de
lectorat mais en grande pompe s'il vous plaît !
L'esprit
classique est toujours là, bien présent quelque part sous une belle
couche de modernité et de pensée inclusive, et ça se ressent sans
doute un peu trop au bout d'un moment pour un public qui recherche
avant tout de la nouveauté et de la fraîcheur. L'effet ''Wahou !''
est passé et quand la routine s'installe, c'est qu'il est temps de
changer. Miss Hulk fera une dernière apparition en Juin 1982 dans
les pages de la série Marvel Two-in-One
qui lui fera faire équipe avec la Chose des Quatre Fantastiques, et
comme on l'a vu dans un précédent article V.O. en règle général
quand un personnage Marvel secondaire fait équipe avec Ben Grimm
c'est que sa propre série s'apprête à disparaître purement et
simplement, ce qui sera le cas ici aussi. Il faudra attendre
l'arrivée d'un certain John Byrne sur les aventures des Quatre
Fantastiques pour que Miss Hulk revienne sur le devant de la scène
et obtienne, enfin, son statut de personnage culte pour toute une
génération. Mais ça, c'est une autre histoire que l'on parcourra
très prochainement...
Est-ce
que cette première série est foncièrement mauvaise, has-been et
dépassée ? Un peu oui, il faut bien l'admettre, mais pas
totalement non plus. Le drama, le soap-opera si cher à l'héritage
de Stan Lee, est bien là presque vingt ans après le lancement de la
première famille super-héroïque, mais le lectorat en a un peu
marre, et se lasse aussi rapidement des traits assez massifs et très
classiques à la Jack Kirby. Miss Hulk apporte une touche de
sensualité sauvage à l'industrie des comics Marvel en ce début des
années '80, mais ne parvient pas à séduire suffisamment longtemps
le public, la faute sans doute à des histoires un peu poussives par
moment et surtout jugées trop classiques justement. C'était
toutefois un vrai plaisir de parcourir cet omnibus de 600 pages
environ, avec ce charme désuet malgré tout efficace à sa manière
des décennies plus tard, qui nous présente les origines de Miss
Hulk sans fards ni tabous, de façon théâtrale certes mais avec
talent et application, trop peut-être.
Les
nombreux bonus présents dans cet album sont assez sympathiques, on y
retrouvera des crayonnés et des pages de scénario ainsi que de
véritables anecdotes racontées en 2018 par David A. Kraft lui-même,
exposant parfois sa façon bien à lui de penser son personnage et
ses aventures, dans des directions pas toujours voulues par ses
supérieurs ou du moins assumées par la suite. Une façon comme une
autre de découvrir l'envers du décor, ce qui n'est jamais un voyage
inutile !
La
couverture que j'ai choisi est signée Frank Cho et représente Miss
Hulk triomphante se tenant au-dessus de certains de ses ennemis les
plus reconnaissables, comme l'Homme-Éléphant, tout un concept à
lui-seul vous verrez. L'autre couverture disponible pour ce même
omnibus reprend tout bonnement le dessin de couverture du tout
premier chapitre de la série, celui de Stan Lee et John Buscema (pas
forcément le meilleur d'ailleurs, là aussi vous verrez bien).
J'espère
que cette petite escapade dans le passé vous aura plu, ç'aura été
un vrai plaisir pour moi en tout cas de me plonger dans cette période
que je connais assez peu et surtout de lire enfin les vraies origines
de Miss Hulk, un personnage qui me fascine totalement depuis que j'ai
lu le run de Dan Slott durant les années 2000 (cf. article V.O.dédié sur le blog). Je ne pense pas que tout sera repris à la
lettre dans la série-télé She-Hulk – Avocate à
paraître bientôt sur Disney+, mais les bases devraient y être. On
se retrouve prochainement pour parler de l'ère John Byrne !