vendredi 29 juillet 2022

La V.O. du vendredi n°211 : The Savage She-Hulk omnibus (Marvel - Avril 2022)


Jennifer Walters, avocate brillante exerçant seule dans son cabinet privé de Los Angeles, n'a pas toujours eu la vie facile. Étudiante très sérieuse et impliquée, elle n'a pratiquement pas de vie privée et a perdu sa mère assez jeune, tandis que son père, le shérif de la ville, s'est de plus en plus consacré à son travail en délaissant sa fille. Du reste, Jennifer n'a pas ce que l'on pourrait appeler une personnalité marquante : toujours à l'écart, jamais vraiment reconnue pour son talent par sa profession, elle passe le plus clair de son temps à se battre pour obtenir les mêmes droits que ses homologues masculins qui ne se privent pas de la rabaisser à la moindre occasion.


Tout change quand elle doit plaider durant une sombre affaire de trahison mafieuse. Des gangsters armés l'attendent devant chez elle et font feu à son arrivée, lui logeant une balle dans le dos qui la condamne irrémédiablement. Du moins en temps normal, car Jennifer a quelque chose que les autres n'ont pas : un cousin super-héros ! Ou peu s'en faut, puisqu'il s'agit de Bruce Banner, alias l'incroyable Hulk ! Ce-dernier était présent auprès d'elle lors de la fusillade et décide sans plus tarder de lui transfuser son propre sang pour la sauver, en attendant les secours et une vraie hospitalisation. Une décision qui aura rapidement de très lourdes répercussions...


Si Bruce disparaît juste après cet événement, Jennifer, elle, reprend conscience tout en sentant que quelque chose en elle n'est plus tout à fait comme avant. Elle ressent une sorte de force primale en elle, dans son corps comme dans son esprit, un aspect de sa personne qui ne demande qu'à éclater au grand jour. Quand les gangsters reviennent pour l'achever sur son lit d'hôpital, c'est le drame : la petite Jenny se transforme soudain en une puissante et redoutable femme à la peau verte iconique, et leur colle une dérouillée dont ils se souviendront longtemps ! La sauvageonne s'évanouit dans la nature tandis que Jen est retrouvée pantelante non loin de là. Miss Hulk était née !


A la différence de son cousin caractériel, Jen garde le contrôle de ses actes et de ses pensées, d'elle-même, quand elle se transforme. Elle devient simplement plus ''sauvage'', ce qui lui vaudra son premier surnom officiel. Il faut entendre par là qu'elle est davantage sûre d'elle, extravertie, forte au-delà de toute mesure et surtout fière et indépendante. Une vraie femme libérée, le cauchemar de toute bonne société patriarcale qui se respecte. Bien vite, Jen prend une décision radicale : ce qu'elle ne peut résoudre dans un tribunal, Miss Hulk le réglera avec ses poings !


C'est le début d'une longue carrière de super-héroïne non reconnue par les forces de l'ordre, dont son père est à la tête, et qui se mettent dès lors à sa poursuivre à la moindre de ses apparitions. Très vite suspectée de meurtre après un tragique accident qui la prive de sa meilleure amie, Jen commence à douter du bien fondé de ses actions en tant que Miss Hulk, un doute qui disparaît toutefois bien vite quand elle redevient la géante de jade avec toute son assurance. Traquant les criminels et les gangsters à travers toute la ville, Miss Hulk devient rapidement le fléau de la pègre locale et se fait un tas d'ennemis aussi divers qu'imprévisibles.


En parallèle, il y a ce triangle amoureux entre Jen et son ancien protégé et voisin, Zapper, qui n'ose avouer ses sentiments à sa baby-sitter d'autrefois maintenant qu'il est devenu homme. Zapper est le seul qui connaisse la vérité au sujet de Jennifer et de Miss Hulk, ce qui en fait un allié providentiel mais également un ami par défaut, inapte à toute autre relation. D'un autre côté, quand Jennifer croise la route de Richard Rory, un malchanceux devenu subitement riche et voulant faire le bien autour de lui, elle est séduite intellectuellement par cette âme charitable et accepte de nouer une certaine romance avec lui, au grand dam de Zapper qui se met à ruminer dans son coin.


Il faut aussi compter sur la constante opposition des actes de Miss Hulk avec la loi et l'ordre voulus par le shérif, le propre père de Jennifer, qui verrait bien cette criminelle en puissance sur la chaise électrique le plus tôt possible ! Plus Miss Hulk devient célèbre, plus elle fait parler d'elle, et plus le shérif Walters le vit mal et se plonge à corps perdu dans son travail, oubliant cette fois-ci totalement sa fille déjà fortement négligée par le passé, alors même que celle-ci voudrait lui avouer son secret pour qu'ils puissent mieux se comprendre.


Miss Hulk peine à trouver un véritable équilibre dans ses deux vies et surtout dans l'enchaînement de ses adversaires, aucun ne se montrant vraiment à la hauteur. Quand il s'avère soudain que sa transfusion sanguine lui a aussi provoqué une maladie génétique gravissime, elle ne peut se tourner que vers le premier expert sanguin à sa portée, nul autre que le Dr. Michael Morbius, meurtrier de masse tentant de se soigner lui-même et purgeant déjà une peine exemplaire. Grâce à son aide et à celle de Zapper, Miss Hulk sera bien vite rétablie et capable désormais de se changer à volonté en l'une ou l'autre de ses identités, pourvu qu'elle soit prête à encaisser la douleur en retour. Morbius quant à lui se condamne par cette bonne action à poursuivre sa quête vaine de remède à sa propre condition, tout en étant plus ou moins sorti du couloir de la mort grâce à la plaidoirie de Jennifer en sa faveur, sa peine étant commuée en prison à vie. Un autre petit détail qui fera s'éloigner encore davantage le père et la fille, déjà en froid, quand ils réaliseront qu'ils n'ont pas tout à fait la même conception de la Justice.


Par la suite, les aventures se succèdent, se suivent et se ressemblent un peu toutes, jusqu'à l'arrivée d'un super-vilain véritable qui menace très sérieusement les deux vies de Jennifer Walters et Miss Hulk. Ayant enfin son propre ennemi juré à combattre, l'Amazone verte se lance à corps perdu dans la bataille, essuyant trahisons et déconvenues les unes après les autres, tandis que ses deux compagnons font tout leur possible pour tenter de la raisonner et, en désespoir de cause, décident de révéler son secret au shérif Walters pour lui sauver la vie. L'ultime chapitre de cette saga finale marquera un tournant dans la vie de cette héroïne d'un genre nouveau, car Jennifer Walters décidera en son âme et conscience de rester Miss Hulk pour de bon cette fois-ci, estimant qu'elle est ainsi davantage libre et épanouie tout en continuant de servir la loi d'une certaine façon.


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Au départ, tout part d'un simple constat purement commercial : la série-télé de L'incroyable Hulk bat tous les records de popularité, et au début des années 1980 Marvel réalise que certains concurrents pourraient être tentés de créer leur propre version alternative du personnage, si ce n'est les showrunners de la série elle-même qui l'envisagent sérieusement. Stan Lee revient alors en urgence pour pondre un scénario iconique, inventant une cousine à Bruce Banner et la transformant en un seul et même chapitre en l'alter-ego du Hulk si populaire. Et PAF, voilà comment on verrouille un copyright ! Maintenant que Miss Hulk existe sur papier, personne n'a plus le droit de l'inventer ailleurs ou de la copier sans l'expresse autorisation de Marvel, pas très enclins à partager.


Stan the Man ayant fait son office, il repart à la vie civile l'esprit bien tranquille. Mais du coup la Maison des Idées se retrouve avec un petit problème : maintenant qu'un nouveau personnage existe, il faut lancer sa propre série et le faire vivre un minimum pour maintenir les droits ! On fait alors appel à un autre vétéran de la grande époque, David Anthony Kraft, pour accomplir cette tâche avec l'aide de l'artiste Mike Vosburg et de plusieurs petites mains. Ainsi naît véritablement la série The Savage She-Hulk, qui se poursuivra durant vingt-cinq numéros avant des adieux déchirants au bout de deux ans de parution environ. Durant cette période, Kraft et Vosburg auront développé Miss Hulk au-delà des attentes de l'éditeur, en en faisant une véritable icône du féminisme brutal post-révolution des mœurs, et en y ajoutant déjà beaucoup d'humour et parfois de cruelle ironie. La sauce Marvel prend toujours, du moins un certain temps, et dans le courrier des lecteurs les fans s'écharpent régulièrement autour de la question de la légitimité d'un titre She-Hulk et de ses qualités ou défauts les plus évidents. Les artistes en prennent très souvent pour leur grade, mais dans l'ensemble ça reste bon enfant et l'aventure se terminera certes par manque de lectorat mais en grande pompe s'il vous plaît !


L'esprit classique est toujours là, bien présent quelque part sous une belle couche de modernité et de pensée inclusive, et ça se ressent sans doute un peu trop au bout d'un moment pour un public qui recherche avant tout de la nouveauté et de la fraîcheur. L'effet ''Wahou !'' est passé et quand la routine s'installe, c'est qu'il est temps de changer. Miss Hulk fera une dernière apparition en Juin 1982 dans les pages de la série Marvel Two-in-One qui lui fera faire équipe avec la Chose des Quatre Fantastiques, et comme on l'a vu dans un précédent article V.O. en règle général quand un personnage Marvel secondaire fait équipe avec Ben Grimm c'est que sa propre série s'apprête à disparaître purement et simplement, ce qui sera le cas ici aussi. Il faudra attendre l'arrivée d'un certain John Byrne sur les aventures des Quatre Fantastiques pour que Miss Hulk revienne sur le devant de la scène et obtienne, enfin, son statut de personnage culte pour toute une génération. Mais ça, c'est une autre histoire que l'on parcourra très prochainement...


Est-ce que cette première série est foncièrement mauvaise, has-been et dépassée ? Un peu oui, il faut bien l'admettre, mais pas totalement non plus. Le drama, le soap-opera si cher à l'héritage de Stan Lee, est bien là presque vingt ans après le lancement de la première famille super-héroïque, mais le lectorat en a un peu marre, et se lasse aussi rapidement des traits assez massifs et très classiques à la Jack Kirby. Miss Hulk apporte une touche de sensualité sauvage à l'industrie des comics Marvel en ce début des années '80, mais ne parvient pas à séduire suffisamment longtemps le public, la faute sans doute à des histoires un peu poussives par moment et surtout jugées trop classiques justement. C'était toutefois un vrai plaisir de parcourir cet omnibus de 600 pages environ, avec ce charme désuet malgré tout efficace à sa manière des décennies plus tard, qui nous présente les origines de Miss Hulk sans fards ni tabous, de façon théâtrale certes mais avec talent et application, trop peut-être.


Les nombreux bonus présents dans cet album sont assez sympathiques, on y retrouvera des crayonnés et des pages de scénario ainsi que de véritables anecdotes racontées en 2018 par David A. Kraft lui-même, exposant parfois sa façon bien à lui de penser son personnage et ses aventures, dans des directions pas toujours voulues par ses supérieurs ou du moins assumées par la suite. Une façon comme une autre de découvrir l'envers du décor, ce qui n'est jamais un voyage inutile !


La couverture que j'ai choisi est signée Frank Cho et représente Miss Hulk triomphante se tenant au-dessus de certains de ses ennemis les plus reconnaissables, comme l'Homme-Éléphant, tout un concept à lui-seul vous verrez. L'autre couverture disponible pour ce même omnibus reprend tout bonnement le dessin de couverture du tout premier chapitre de la série, celui de Stan Lee et John Buscema (pas forcément le meilleur d'ailleurs, là aussi vous verrez bien).


J'espère que cette petite escapade dans le passé vous aura plu, ç'aura été un vrai plaisir pour moi en tout cas de me plonger dans cette période que je connais assez peu et surtout de lire enfin les vraies origines de Miss Hulk, un personnage qui me fascine totalement depuis que j'ai lu le run de Dan Slott durant les années 2000 (cf. article V.O.dédié sur le blog). Je ne pense pas que tout sera repris à la lettre dans la série-télé She-Hulk – Avocate à paraître bientôt sur Disney+, mais les bases devraient y être. On se retrouve prochainement pour parler de l'ère John Byrne !

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