La ville de Dakota est en proie à l'agitation depuis une énième bavure policière envers la communauté Afro-Américaine. Partout les jeunes esprits s'échauffent, et une manifestation pacifique est organisée pour permettre à tout le monde de militer et de faire entendre une voix trop souvent réprimée et ignorée.
Virgil Hawkins est un adolescent de seize ans que l'on pourrait qualifier de nerd, il passe le plus clair de son temps à bosser ses cours de science, fait partie d'un programme spécial pour petits génies, et le reste de sa scolarité se passe sans réel accident à part les brutes qui lui cherchent des poux dès qu'ils en ont l'occasion. Rien d'anormal somme toute. Mais Virgil ne peut pas rester dans sa niche et se couvrir les yeux quand l'ensemble de sa communauté se soulève contre l'injustice crasse dont ses membres sont constamment victimes. Alors, dans le dos de ses parents, Virgil rejoint les rangs de la manifestation sur la place publique, espérant aussi au passage impressionner la fille pour qui il craque.
Mais rien ne va se passer comme prévu. La police, prise de panique, tire sur la foule des capsules contenant un gaz de dispersion qui n'a en réalité jamais été testé avant de leur être distribué, et ce qui va suivre s'apparente alors à une véritable tragédie humaine. La plupart des manifestants meurent dans d'atroces souffrances, d'autres sombrent dans un coma irrémédiable, et les derniers enfin... eux, ils écopent peut-être du pire. Ils survivent, se remettent de leurs blessures et vont de l'avant, reprennent le cours de leurs vies... à ceci près qu'ils possèdent maintenant des pouvoirs spéciaux, des aptitudes surhumaines qui les mettront immédiatement en marge de la société pour toujours.
En marge, Virgil a l'habitude de l'être de toute façon. A ce niveau-là, ça ne change pas grand chose à sa vie, le trauma du gazage mis à part. Mais avec les pouvoirs dont il dispose, il commence à se dire qu'il pourrait chercher à faire la différence, à faire le bien autour de lui, et mettre ses capacités et son cerveau au service d'un idéal plus grand que lui. Enfin, dans un premier temps il se dit surtout que c'est enfin le moment de rendre la monnaie de leur pièce aux brutes qui le terrorisent depuis si longtemps. Qui ne l'aurait pas fait ?
Seulement le cas de Virgil est loin d'être un accident isolé. Plusieurs autres mutés apparaissent aux quatre coins de la ville, des jeunes majoritairement, et tous déboussolés et pour certains rejetés par leurs familles dès l'apparition de leurs pouvoirs singuliers. Quelques uns, assez nombreux tout de même, se regroupent sous la bannière d'un leader charismatique qui prône la Loi du Talion à l'égard des Blancs mais qui disparaîtra dans la nature dès que les choses se corseront avec l'intervention des Fédéraux. D'autres n'auront pas cette chance et finiront capturés par lesdits services fédéraux, qui comptent bien mener d'intenses expériences sur eux et leurs pouvoirs, dans un but encore mystérieux.
Après d'âpres négociations et discussions houleuses avec sa famille, Virgil se rend compte qu'il a une responsabilité non seulement envers sa communauté, mais également envers celles et ceux qui comme lui ont survécu au gazage pour devenir des parias au sein d'un monde qui les rejetait déjà pour la majorité d'entre eux. Décidé à faire cesser ces manipulations et ces enlèvements de masse, celui qui se fait désormais appeler Static en raison de ses pouvoirs sur le spectre électromagnétique se lance dans une croisade personnelle pour libérer ses frères et sœurs du joug de l'oppresseur et les rendre à leurs proches, tout en combattant pour de bon ses propres démons au passage.
---
Ainsi renaît Static, une série de comics engagée des années '90 il me semble, sous la plume de Vita Ayala et les crayons de Nikolas Draper-Ivey ainsi que l'impulsion et l'hébergement de DC Comics pour ce label Milestone qui avait pratiquement disparu de la circulation.
Il ne fera aucun doute pour quiconque que cette série apparaît nettement influencée par les événements tragiques qui ont donné naissance au mouvement Black Lives Matter aux USA il y a quelques années déjà, d'ailleurs les références visuelles et graphiques sont assez évidentes en ce sens et ne prêtent pas vraiment à interprétation. Vita Ayala nous offre un récit saisissant sur les cruautés du quotidien que vivent les minorités, principalement la communauté Afro-Américaine en l’occurrence mais pas que, avec une autre vraie force selon moi : le soin tout particulier apporté à la mise en scène des relations familiales et communautaires justement, là où toutes les autres institutions lâchent du lest ou ferment les yeux.
Les différents personnages positifs sont ici soudés, apparaissent déterminés à aider leurs prochains et à faire clairement pencher la balance, faire que leurs actes comptent pour aujourd'hui comme pour demain, dans une ville profondément divisée sur ses bases citoyennes. Bien sûr vous me direz que c'est toujours ce que veut et impose le genre super-héroïque, des valeurs fortes à véhiculer afin de toucher un large public, mais je vous répondrais qu'ici en plus du reste on donne aussi la parole à un mode de vie, à une partie trop souvent et trop longtemps oubliée de la population, avec ses codes, son langage, ses racines qui ne demandent qu'à se faire entendre.
Le personnage de Francis Stone, par exemple, représente absolument tout ce que quelqu'un comme Virgil déteste au plus haut point : raciste, misogyne, violent et stupidement borné, c'est une brute que rien n'arrête, ou plutôt que personne n'osait arrêter avant que l'accident de trop ne se produise. Tout ce premier tome (parce que oui spoiler un second est déjà sorti à l'heure actuelle depuis quelques semaines) est littéralement hanté par la présence oppressante de Francis et de son comportement des plus toxiques et infâmes, et la confrontation avec Virgil/Static ne se fait pas que physiquement, il s'agit aussi d'une bataille de valeurs et de convictions profondes à défendre face à la médiocrité humaine la plus absurde.
Comme beaucoup de personnes de ma génération, j'ai surtout des souvenirs diffus de mes visionnages du dessin-animé Static Choc et j'ai donc espéré retrouver tout ce que j'y avais aimé dans cette nouvelle version modernisée du personnage, et en réalité j'y ai trouvé tellement plus ! Je crois qu'un comic-book comme Static – Season One est fait pour parler à tout le monde et toucher tout le monde ou presque, mais surtout pour tenter d'ouvrir les yeux dans la droite ligne du BLM et de la prise de conscience générale qu'il a suscité dans notre société hétéroclite. Vraiment, je trouve que l'on a besoin de séries de ce genre, qui restent du grand spectacle mais demeurent aussi profondément sincères et engagées dans une cause juste, et c'est encore plus vrai aujourd'hui qu'il y a vingt ou trente ans.
Donnez-lui sa chance si vous ne connaissez pas du tout, et répandez la bonne parole autour de vous si vous y trouvez un écho, même si vous ne faites pas partie de la minorité sociale ciblée au premier degré. Tous les soutiens sont bons à prendre et seront utiles, même si cela ne consiste qu'en l'achat d'un énième album de bande-dessinée. Parfois de petits gestes aident aussi les grands héros...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire