Et
le voici enfin, le quatrième et dernier tome (actuellement) de la
bande-dessinée Succubes
de Thomas Mosdi. Ici le dessinateur change une nouvelle fois, c'est
donc à Marco Dominici que revient la lourde tâche de parvenir à
restituer l'ambiance et l'atmosphère si particulières d'une Rome
Impériale lors des dernières belles années de la Première
Dynastie.
An 48 après Jésus-Christ. Il est de notoriété
publique que l'Empereur Claude est un faible, vieillard sur le
déclin, et que le véritable pouvoir est entre les mains de son
impétueuse épouse, Messaline, mère de ses enfants. Ce que l'on
sait moins, c'est que l'Impératrice appartient en secret à l'ordre
des Filles de Lilith et a été chargée par ces dernières
d'utiliser le pouvoir dont elle dispose pour éliminer les menaces à
l'encontre des membres de l'ordre, ainsi que de tout faire pour que
sa juste cause en faveur de l'égalité entre les hommes et les
femmes puisse un jour se réaliser durablement. Malheureusement,
Messaline est une femme aux appétits brutaux et insatiables, et dont
la morale douteuse constitue une entrave aux projets de l'ordre.
Cependant, de part la position qu'elle occupe, elle n'en demeure pas
moins l'atout le plus précieux et la grande prêtresse est assez
réticente à l'idée de devoir se débarrasser de l'Impératrice
avant qu'elle ne trahisse leur cause, aveuglée par sa propre soif de
pouvoir et de luxure. En cela, Messaline ne diffère pas tellement
des ennemis des Filles de Lilith, qui commencent d'ailleurs enfin à
se rassembler et à s'organiser pour détruire ce culte de femmes
qu'ils nomment Succubes. La Confrérie des Loups veille dans l'ombre
et attend le premier signe de faiblesse de ses ennemies pour frapper
et porter un coup fatal. L'occasion se présente lorsque Messaline
s'embarque dans une tentative de coup d'état, alors que Claude se
trouve éloigné de Rome elle choisit de divorcer publiquement et
d'épouser un jeune sénateur plein d'avenir, rassemblant autour
d'eux tout ce que la cité compte d'opposants au pouvoir impérial et
de nostalgiques de l'ancienne République. La guerre de l'ombre fait
rage entre les partisans des deux causes, les Filles de Lilith et la
Confrérie des Loups, et nombreuses seront les victimes, tandis que
Rome pourrait bien connaître ses dernières années de faste, alors
que la tempête se rapproche dangereusement dans tous les esprits. Et
au milieu de tout cela, une femme, dont l'envie de vivre et de
profiter pleinement de tous les aspects de la vie pourrait mettre en
péril des millénaires de lutte secrète pour une meilleure société,
pour un monde plus juste. Pour les Filles de Lilith, ce sera le
premier grand revers de leur histoire, qui leur sera presque mortel.
Le salut et l'espoir viendront de la folie des hommes et de leur soif
de vengeance et de pouvoir, en attendant que le monde change
suffisamment pour que la cause des Succubes puisse alors refaire
surface.
Ce tome m'a moins plu que les précédents, notamment
parce qu'il traite assez crûment de la sexualité débridée de
l'Impératrice Messaline. Cependant il y a énormément de points
intéressants qui y sont traités, en premier lieu la face sombre de
l'ordre des Filles de Lilith est pour la première fois représentée
concrètement par une de ses agents, et ce que l'on pensait être une
cause juste et immaculée se teinte alors de sombres nuances de gris
et de noir. Thomas Mosdi prend même la peine de faire un petit topo
historique à la fin du tome et de nous annoncer l'avenir de Rome
après la disparition de Messaline et le règne de Claude, en nous
introduisant les heures terribles de celui de Néron et de la fin de
la Première Dynastie. C'est le premier véritable coup dur pour les
Filles de Lilith, mais l'on se doute qu'elles sauront s'en relever
par la suite et que tout espoir n'est pas encore perdu.
Concernant le dessin, il semble qu'aucun autre artiste
que Marco Dominici n'aurait été mieux placé pour retranscrire à
ce point la beauté et la diversité de cette Rome des premiers temps
de l'Empire, où le faste le dispute au mystère des intrigues et de
la décadence. Car il est aussi question de cela, le déclin lent et
progressif d'une civilisation qui jusqu'ici incarnait ce qu'il
pouvait y avoir de meilleur dans ce monde ancien et dangereux, à
l'aube du progrès mais encore terriblement brutal. Messaline incarne
tout à la fois l'héroïne et l'antagoniste principales de ce récit,
déchirée entre sa condition de femme et son appartenance à Lilith,
et entre son solide et inépuisable appétit pour la vie, le sexe, le
pouvoir. Rien ne semble pouvoir arrêter l'Impératrice qui
s'accroche de toutes ses forces à tout ce dont elle peut profiter,
mais qui n'oublie pas pour autant d'où elle est issue et quels sont
les risques qui pèsent sur elle. Image vivante de la décadence, en
somme, qui préfigure de ce que deviendra Rome dans quelques siècles.
Le style de Dominici est toujours assez réaliste et très similaire
à ceux des deux dessinateurs précédents, on retrouve encore une
fois ce soucis de préserver une certaine cohérence dans la
représentation et un véritable effort pour coller le plus possible
à ce qui a déjà été fait et illustré, tout en apportant sa
touche personnelle au travers des décors et des styles des
différents lieux et personnages. Vivement à présent le cinquième
tome pour découvrir une toute nouvelle époque et peut-être le
renouveau des Filles de Lilith et leur revanche sur les Loups, en
gardant désormais à l'esprit que tout n'est pas noir ou blanc et
que les deux camps comptent nombre de contradictions internes.
Puisque l'on vient de traiter un personnage historique aussi ambigu
et important que Messaline, après la vertueuse et héroïque Eanna,
j'attends volontiers une autre de ces Impératrices farouches de
légende telles que Jézabel ou Zoé !
Sur ce, je vous laisse vous faire votre propre avis et
je vous souhaite une bonne lecture, en espérant vous retrouver
bientôt pour un nouvel article !
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