Suite à la récente
sortie aux États-Unis de Batman v Superman Ultimate Edition,
comprenant un montage allongé de près de 30 minutes par rapport à
la version cinéma, Radiophogeek revient sur cette pratique
spécifique du 7ème Art.
Il convient dans un
premier temps de définir le terme ou plutôt les différents termes
l'illustrant.
Difficile de dater
précisément quel film fût le premier à bénéficier d'un tel
traitement, car il n'était pas rare que les réalisations du début
du XXème siècle sortent en plusieurs versions. Eut égard de la
production de l'époque, cette pratique semble donc relativement
courante, mais sur ce point difficile de dire s'il s'agissait d'une
norme. Il est à noter que dans ces premières années le cinéma est
expérimental à plus d'un titre, il va donc falloir un certain temps
avant que celui-ci ne se codifie.
Datons globalement ses
origines dans les années '20 (Metropolis, Fritz Lang, 1927)
où il peut exister plusieurs versions d'un même film (parfois 4 à
5). Ces versions s'avèrent donc plus longues voire courtes que
l'originale, si tant est que l'on puisse en désigner une de la
sorte. L'on peut donc parler dans ce cadre de remontage, qui se
faisant va raccourcir certaines séquences voire même les remplacer
par d'autres scènes et donc aboutir dans certains cas à un tout
autre film (Alien le 8ème passager de Ridley Scott dispose
par exemple d'une director's cut plus courte de quelques
minutes tout en comportant plusieurs scènes inédites).
Il faut rajouter à cela
que certains films étrangers voyaient leur montage modifié pour
l'exportation à l'internationale (Les 7 Samouraïs, Akira
Kurosawa, 1954. Ou récemment Les 3 Royaumes de John Woo en
2008, diptyque de 4h40 qui s'est trouvé réduit à un seul film de
2h20 pour l'occident...)
Petit bon dans le temps
maintenant pour parler des director's cut (à ne pas confondre
avec le final cut) qui se définit comme la vision idéale du
réalisateur sur son œuvre. Aux États-Unis ce sont les producteurs
qui gardent la prérogative du montage définitif (final cut)
du film, et les cas de désaccord entre réalisateurs et producteurs
sont légion dans le cinéma américain moderne des années '70-'80.
Bien sûr il existe des cas bien plus anciens avérés de director's
cut, mais c'est avec l'apparition du blockbuster, de la célébrité
croissante des réalisateurs et de l'exploitation vidéo (VHS,
Laserdisc puis DVD) que cette pratique va tendre à se banaliser.
Nombreux sont les
exemples à partir de cette époque, citons principalement les cas de
désaccord profond (Brazil de Terry Gilliam, Blade Runner
de Ridley Scott, Dune de David Lynch) qui aboutiront parfois
bien plus tard à la rediffusion de ces œuvres soit au cinéma, soit
directement en vidéo. Mais aussi les réussites critiques et/ou
commerciales qui auront donc le feu vert pour présenter la vraie
vision du réalisateur (en cela James Cameron est coutumier du fait
avec Aliens, Abyss et Avatar. Ainsi bien sur que
George Lucas qui n'aura de cesse de modifier ses films à chacune de
leur ressortie, l'exemple le plus flagrant étant l'édition spéciale
20ème anniversaire de la trilogie Star Wars). Cas un peu
particulier dans ces réussites qu'il nous faut évoquer : la
trilogie du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson qui profita
en son temps du support DVD pour proposer des versions longues
conséquentes, véritable hommage aux livres de J.R.R. Tolkien.
Il existe aussi des
exemples où le remontage du film a transfiguré la version cinéma.
Alien 3, qui se voit être la première réalisation d'un
certain David Fincher, est un véritable cas d'école d'une
production chaotique sur un film appelé à devenir culte. Les
nombreuses directions prises par la préproduction firent que le
script n'était même pas achevé lors du début du tournage !
La Fox voulant tenir les délais du calendrier et Fincher n'ayant pas
les épaules nécessaires pour imposer son point de vu, le film fut
charcuté par rapport à ce qu'il aurait dû être. Et pourtant déjà
le talent du réalisateur rend la version cinéma tout à fait
honnête. Fincher refusa toujours de reprendre le montage et ce
furent ses collaborateurs qui proposèrent une version alternative
plus proche du script d'origine, long de 30 minutes supplémentaires
dans le cadre de la sortie DVD. L'on voit alors un film à la fois
radicalement différent sur de nombreux points, mais aussi très
proche dans son ossature et le cheminement de l'histoire. On se
retrouve ici avec un cas à part qui n'est pas sans rappeler les
prémices du cinéma où les films disposaient de nombreuses versions
parfois différentes de plusieurs heures.
Venons-en maintenant à
un film de Ridley Scott qui porte des similitudes avec Batman v
Superman : Kingdom of Heaven (2005). Sa production ne
fût peut être pas aussi houleuse mais lors du montage final, les
opinions divergèrent : le studio craignit la trop grande
complexité du film et l'expurgea grandement de sa substance. Le
résultat nous a donné un film moyen, dont les nombreuses ellipses
narratives nuisent à la compréhension de l'intrigue (un comble vu
l'intention première des producteurs !). Mais Scott monta en
parallèle sa propre version pour une sortie DVD : avec près de
50 minutes supplémentaires le film s'en trouve métamorphosé, les
personnages gagnent en consistance, les enjeux sont clarifiés. L'on
a ici l'exemple parfait du film massacré par les volontés
commerciales du studio dont la version longue (ici director's cut)
réhabilite entièrement l’œuvre auprès des cinéphiles.
Ce cas de figure fait
directement écho au film de Zack Snyder, qui a d'ailleurs par le
passé pu fournir pas moins de 3 versions à un comics réputé
inadaptable : Watchmen (Version cinéma de 143 minutes,
director's cut de 180 minutes et ultimate cut de 215
minutes).
Revenons en maintenant
au fait : à la sortie de Batman v Superman, les
critiques sont pour le moins controversées. Nombreux sont ceux, fans
comme détracteurs, à être d'accord sur le fait que le rythme du
film est pour le moins étrange, perclus d'ellipses qui cassent la
fluidité de la narration et sa compréhension générale. Clairement
il manque quelque chose au film. Il est de notoriété publique que
la production de Batman v Superman fût compliquée, la Warner
voulant rattraper au plus vite la concurrence dans le genre
super-héroïque. Et ce quitte à aller trop vite ?
Probablement, tant la version cinéma semble avoir été sacrifiée
sur l'autel de la sacro-sainte rentabilité : la durée
originelle du film permettant plus de séances dans une journée que
sa version étendue. Mauvais calcul de la Warner ? Difficile à
dire mais les mauvaises critiques, le bouche à oreille négatif qui
s'en est suivi et la relative déception quant au score au box-office
pour un film de cette envergure tendent aujourd'hui à l'affirmer. Ce
qui est certain c'est que ces mauvaises critiques sont en partie dû
au montage cinéma, ce que tente de corriger cette version longue.
En cela la position du
studio est pour le moins curieuse puisqu'en pleine promotion du film,
il communiquait déjà sur ce nouveau montage ! Aveu de
faiblesse ? Tentative d'éteindre l'incendie ? Stratégie
marketing pour vendre les Blu-Ray et DVD ? La réponse se trouve
ici sûrement directement dans les questions posées. Mais de mémoire
de cinéphile, c'est la première fois qu'un film de cette ampleur se
voit proposer d'office la version longue avec l'originelle, quand les
studios de cinéma ont plutôt tendance à proposer les deux
séparément afin de vendre plus.
Et que vaut cette
version longue dans les faits ? Indéniablement elle clarifie de
nombreux points de l'intrigue et l'évolution psychologique des
personnages. Mais, et il s'agit d'un avis personnel encore dépourvu
de recul, il rend aussi le film trop plat. Comme beaucoup de
blockbusters aujourd'hui cette version longue ne propose pas de
respiration, tout est en flux tendu, ce qui empêche d'en apprécier
pleinement les moments forts.
Batman v Superman
Ultimate Edition est donc le parfait représentant, à la fois de
versions longues qui apportent un regard neuf sur l’œuvre mais
aussi paradoxalement la desservent. Car s'il est vrai que fréquemment
ces versions alternatives peuvent transcender leurs matériaux
d'origine, il arrive tout aussi bien que l'ajout de séquences puisse
diluer l'intérêt de l'intrigue. C'est là tout l'art du cinéma,
fragile équilibre que la durée d'un film, dont le rythme peut vous
captiver ou au contraire vous assoupir dans votre fauteuil.
Si cet article vous a plu ou déplu, merci de le faire
savoir dans les commentaires et de le partager ! Le débat reste
toujours ouvert, et les nouvelles idées sont toujours les
bienvenues ! Merci en tout cas de nous avoir suivi jusqu'à la
fin, et rendez-vous une prochaine fois pour un autre sujet !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire