lundi 11 juillet 2016

La question du lundi n°2 : La ''director's cut'', quézako ?


Suite à la récente sortie aux États-Unis de Batman v Superman Ultimate Edition, comprenant un montage allongé de près de 30 minutes par rapport à la version cinéma, Radiophogeek revient sur cette pratique spécifique du 7ème Art.

Il convient dans un premier temps de définir le terme ou plutôt les différents termes l'illustrant.
Difficile de dater précisément quel film fût le premier à bénéficier d'un tel traitement, car il n'était pas rare que les réalisations du début du XXème siècle sortent en plusieurs versions. Eut égard de la production de l'époque, cette pratique semble donc relativement courante, mais sur ce point difficile de dire s'il s'agissait d'une norme. Il est à noter que dans ces premières années le cinéma est expérimental à plus d'un titre, il va donc falloir un certain temps avant que celui-ci ne se codifie.

Datons globalement ses origines dans les années '20 (Metropolis, Fritz Lang, 1927) où il peut exister plusieurs versions d'un même film (parfois 4 à 5). Ces versions s'avèrent donc plus longues voire courtes que l'originale, si tant est que l'on puisse en désigner une de la sorte. L'on peut donc parler dans ce cadre de remontage, qui se faisant va raccourcir certaines séquences voire même les remplacer par d'autres scènes et donc aboutir dans certains cas à un tout autre film (Alien le 8ème passager de Ridley Scott dispose par exemple d'une director's cut plus courte de quelques minutes tout en comportant plusieurs scènes inédites).

Il faut rajouter à cela que certains films étrangers voyaient leur montage modifié pour l'exportation à l'internationale (Les 7 Samouraïs, Akira Kurosawa, 1954. Ou récemment Les 3 Royaumes de John Woo en 2008, diptyque de 4h40 qui s'est trouvé réduit à un seul film de 2h20 pour l'occident...)
Petit bon dans le temps maintenant pour parler des director's cut (à ne pas confondre avec le final cut) qui se définit comme la vision idéale du réalisateur sur son œuvre. Aux États-Unis ce sont les producteurs qui gardent la prérogative du montage définitif (final cut) du film, et les cas de désaccord entre réalisateurs et producteurs sont légion dans le cinéma américain moderne des années '70-'80. Bien sûr il existe des cas bien plus anciens avérés de director's cut, mais c'est avec l'apparition du blockbuster, de la célébrité croissante des réalisateurs et de l'exploitation vidéo (VHS, Laserdisc puis DVD) que cette pratique va tendre à se banaliser.

Nombreux sont les exemples à partir de cette époque, citons principalement les cas de désaccord profond (Brazil de Terry Gilliam, Blade Runner de Ridley Scott, Dune de David Lynch) qui aboutiront parfois bien plus tard à la rediffusion de ces œuvres soit au cinéma, soit directement en vidéo. Mais aussi les réussites critiques et/ou commerciales qui auront donc le feu vert pour présenter la vraie vision du réalisateur (en cela James Cameron est coutumier du fait avec Aliens, Abyss et Avatar. Ainsi bien sur que George Lucas qui n'aura de cesse de modifier ses films à chacune de leur ressortie, l'exemple le plus flagrant étant l'édition spéciale 20ème anniversaire de la trilogie Star Wars). Cas un peu particulier dans ces réussites qu'il nous faut évoquer : la trilogie du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson qui profita en son temps du support DVD pour proposer des versions longues conséquentes, véritable hommage aux livres de J.R.R. Tolkien.

Il existe aussi des exemples où le remontage du film a transfiguré la version cinéma. Alien 3, qui se voit être la première réalisation d'un certain David Fincher, est un véritable cas d'école d'une production chaotique sur un film appelé à devenir culte. Les nombreuses directions prises par la préproduction firent que le script n'était même pas achevé lors du début du tournage ! La Fox voulant tenir les délais du calendrier et Fincher n'ayant pas les épaules nécessaires pour imposer son point de vu, le film fut charcuté par rapport à ce qu'il aurait dû être. Et pourtant déjà le talent du réalisateur rend la version cinéma tout à fait honnête. Fincher refusa toujours de reprendre le montage et ce furent ses collaborateurs qui proposèrent une version alternative plus proche du script d'origine, long de 30 minutes supplémentaires dans le cadre de la sortie DVD. L'on voit alors un film à la fois radicalement différent sur de nombreux points, mais aussi très proche dans son ossature et le cheminement de l'histoire. On se retrouve ici avec un cas à part qui n'est pas sans rappeler les prémices du cinéma où les films disposaient de nombreuses versions parfois différentes de plusieurs heures.

Venons-en maintenant à un film de Ridley Scott qui porte des similitudes avec Batman v Superman : Kingdom of Heaven (2005). Sa production ne fût peut être pas aussi houleuse mais lors du montage final, les opinions divergèrent : le studio craignit la trop grande complexité du film et l'expurgea grandement de sa substance. Le résultat nous a donné un film moyen, dont les nombreuses ellipses narratives nuisent à la compréhension de l'intrigue (un comble vu l'intention première des producteurs !). Mais Scott monta en parallèle sa propre version pour une sortie DVD : avec près de 50 minutes supplémentaires le film s'en trouve métamorphosé, les personnages gagnent en consistance, les enjeux sont clarifiés. L'on a ici l'exemple parfait du film massacré par les volontés commerciales du studio dont la version longue (ici director's cut) réhabilite entièrement l’œuvre auprès des cinéphiles.
Ce cas de figure fait directement écho au film de Zack Snyder, qui a d'ailleurs par le passé pu fournir pas moins de 3 versions à un comics réputé inadaptable : Watchmen (Version cinéma de 143 minutes, director's cut de 180 minutes et ultimate cut de 215 minutes).

Revenons en maintenant au fait : à la sortie de Batman v Superman, les critiques sont pour le moins controversées. Nombreux sont ceux, fans comme détracteurs, à être d'accord sur le fait que le rythme du film est pour le moins étrange, perclus d'ellipses qui cassent la fluidité de la narration et sa compréhension générale. Clairement il manque quelque chose au film. Il est de notoriété publique que la production de Batman v Superman fût compliquée, la Warner voulant rattraper au plus vite la concurrence dans le genre super-héroïque. Et ce quitte à aller trop vite ? Probablement, tant la version cinéma semble avoir été sacrifiée sur l'autel de la sacro-sainte rentabilité : la durée originelle du film permettant plus de séances dans une journée que sa version étendue. Mauvais calcul de la Warner ? Difficile à dire mais les mauvaises critiques, le bouche à oreille négatif qui s'en est suivi et la relative déception quant au score au box-office pour un film de cette envergure tendent aujourd'hui à l'affirmer. Ce qui est certain c'est que ces mauvaises critiques sont en partie dû au montage cinéma, ce que tente de corriger cette version longue.

En cela la position du studio est pour le moins curieuse puisqu'en pleine promotion du film, il communiquait déjà sur ce nouveau montage ! Aveu de faiblesse ? Tentative d'éteindre l'incendie ? Stratégie marketing pour vendre les Blu-Ray et DVD ? La réponse se trouve ici sûrement directement dans les questions posées. Mais de mémoire de cinéphile, c'est la première fois qu'un film de cette ampleur se voit proposer d'office la version longue avec l'originelle, quand les studios de cinéma ont plutôt tendance à proposer les deux séparément afin de vendre plus.
Et que vaut cette version longue dans les faits ? Indéniablement elle clarifie de nombreux points de l'intrigue et l'évolution psychologique des personnages. Mais, et il s'agit d'un avis personnel encore dépourvu de recul, il rend aussi le film trop plat. Comme beaucoup de blockbusters aujourd'hui cette version longue ne propose pas de respiration, tout est en flux tendu, ce qui empêche d'en apprécier pleinement les moments forts. 

  
Batman v Superman Ultimate Edition est donc le parfait représentant, à la fois de versions longues qui apportent un regard neuf sur l’œuvre mais aussi paradoxalement la desservent. Car s'il est vrai que fréquemment ces versions alternatives peuvent transcender leurs matériaux d'origine, il arrive tout aussi bien que l'ajout de séquences puisse diluer l'intérêt de l'intrigue. C'est là tout l'art du cinéma, fragile équilibre que la durée d'un film, dont le rythme peut vous captiver ou au contraire vous assoupir dans votre fauteuil.

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