Derrière
les bons résultats financiers de la compagnie, l’année qui vient
de s’écouler ne fût pas de tout repos pour Square-Enix. Que ce
soit l’accueil critique mitigé de Final Fantasy XV, les
fours commerciaux des derniers Tomb Raider et Deus Ex
(avec une mise au frigo de la licence pour ce dernier), la séparation
d’avec Io Interactive (les créateurs d’Hitman), les
erreurs de communication sur Kingdom Hearts III et Final
Fantasy VII Remake, on peut légitimement se demander que fait
et surtout où va Square-Enix ?
La
question n’est hélas pas nouvelle à bien des égards : entre
la fusion des deux géants Enix et Squaresoft en 2003 et le difficile
virage des consoles dites HD (Xbox 360 et PS3) des années suivantes,
voici bien dix ans que l’entité Square-Enix se cherche. La
diversification de ses activités et notamment son expansion à
l’international via le rachat de Eidos, Crystal Dynamics et Io
interactive permirent dans un premier temps de cacher l’errance de
la maison mère avec ses propres licences japonaises.
Rappelons
qu’il faille remonter au dixième épisode de Final Fantasy
pour que celui-ci fasse l’unanimité auprès des fans et de la
presse (nous écartons ici volontairement le cas de Final Fantasy
XIV de par son statut particulier de MMORPG), que Kingdom
Hearts n’a pas eu d’épisode majeur et sur consoles de salon
depuis plus de dix ans et que Dragon Quest continue son petit
bonhomme de chemin mais a bien du mal à s’imposer en occident à
cause de son côté old school assumé.
Et
si le calvaire Final Fantasy Versus XIII sortit en fin d’année
sous le chiffre XV est enfin passé, les anciens démons de
Square-Enix ne sont jamais bien loin : sa propension à
communiquer bien trop tôt dans la production de ses jeux lui cause
bien des tracas auprès de sa base de fan, souvent exaspérés par
l’attente démesurée que génèrent des années de communication
sporadique et forcément un peu mensongère.
De
fait si Kingdom Hearts III prends autant de temps à sortir,
c’est que le projet à longtemps été gelé pour que les équipes
de développement gèrent d’autres arlésiennes. C’est là l’un
des principaux problèmes de la boîte : son inconstance dans la
gestion de son personnel et de ses auteurs, souvent amenés à jouer
les pompiers durant des années pour sauver tels ou tels jeux qui
peinent à sortir et s’enlisent dans une production interminable à
la fois coûteuse pour la firme et dommageable pour son image de
marque.
Hélas
les erreurs stratégiques de production ne sont plus dorénavant un
apanage nippon : entre l’aberration de choisir l’exclusivité
temporaire (de un an) sur Xbox pour Tomb Raider (alors que la
licence s’est toujours mieux vendue là ou elle est née, sur
Playstation), le charcutage en règle du dernier Deus Ex sur
l’autel du DLC couplé à une communication désastreuse (en
voulant vendre le jeu pour ce qu’il n’était pas, un banal FPS)
et le saucissonnage du dernier Hitman en format épisodique
(qui a pourtant accouché d’un bon jeu, hélas pas assez vendu au
vu des attentes souvent démesurées de Square sur la licence), c’est
à ce demander si Square Enix, ou plutôt ses dirigeants et le
service marketing, sont capables de se remettre en question et
surtout d’apprendre de leurs erreurs…
Alors
que nous réserve l’avenir me direz-vous ? Son président
Yosuke Matsuda l’a annoncé : ce qui maintient l’entreprise
vient des bonnes performances de Final Fantasy XIV et Dragon
Quest X, deux épisodes de leurs plus vieilles licences qui se
jouent exclusivement en ligne et pour lesquels il faut payer un
abonnement. Rien d’anormal à voir la firme se diriger vers la
nouvelle mode du moment, digne ersatz d’un mariage entre MMO et
DLC : les jeux en tant que service. A savoir des jeux que vous
achetez et qui vous proposeront un contenu sous forme saisonnier
(nouveaux niveaux, objets, armes, tenues, campagnes scénarisées,
modes de jeu en ligne, etc) bref des jeux qui vous forcent à rester
dessus et à y jouer sur le long terme, générant des profits plus
réguliers et stables à l’entreprise tandis que vous crachez au
bassinet bien au-delà d’un jeu classique.
Le
problème d’une telle formule c’est qu’il y a beaucoup de monde
pour peu d’élus. Le temps alloué à ce type de jeu fait que les
joueurs s’y consacrent quasi-exclusivement tout comme pour les MMO
en leur temps ou les jeux free-to-play sur mobiles récemment pour
les joueurs occasionnels… bis repetita à venir ? La
principale inquiétude pour les fans est d’imaginer un épisode
numéroté de Final Fantasy (le prochain étant le numéro
XVI) adopter cette recette. Il est en effet plus évident de
partir avec une licence forte et reconnue plutôt que de partir de
zéro surtout dans un milieu aussi risqué et concurrentiel. Preuve
en est de la politique de Square Enix qui expérimente déjà ce
système avec FFXV : en plus des 3 DLC payants prévus
pour le jeu, une multitude de contenu annexe gratuit et parfois
éphémère (festival chocobo mog, quêtes de chasse) est proposé au
joueur régulièrement, comme si les équipes s’entraînaient déjà
pour la prochaine itération de la saga. Ajoutez à cela que le
réalisateur pressenti pour le seizième épisode n’est autre que
Naoki Yoshida celui qui a redoré le blason de FFXIV… le
MMORPG. De là à imaginer FFXVI en tant que jeu service, il
n’y a qu’un pas que nous osons franchir allégrement.
Alors
est-ce à dire que tout est pourri et noir au royaume de
Square-Enix ? Certes la firme a, nous l’avons vu, des
problèmes identitaires depuis sa création et une méthode
managériale plus que douteuse. Mais il faut hélas voir cela comme
son ADN et non pas une crise passagère. La société a évolué,
ainsi que l’industrie du jeu-vidéo. Et même si ses gérants
semblent avoir compris que son public souhaite de vraies productions
nippones et occidentales (notamment par le biais de productions plus
modestes que les triple A), ils ne peuvent s’empêcher d’embrasser
les grandes tendances du jeu-vidéo mondial avec, comme toujours, un
train ou deux de retard.
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