Attention,
là c'est du lourd. Dans la collection ''DC Nemesis'' jusqu'à
présent nous n'avons eu que des récits de qualité, sur les plus
grands méchants de l'univers de Batman principalement, de Bane à
Double-Face en passant par Deadshot ou le Pingouin. Avec cet
album-ci, très imposant et tout aussi bien fourni, nous avons le
plaisir de découvrir non pas un mais trois récits parus à la fin
des années 1980 et au début des années 1990 sur le personnage de
Ra's al Ghul, écoterroriste immortel dont le génie rivalise
largement avec celui du Chevalier Noir. Trois histoires qui nous
présenteront tour à tour les origines, les failles et les plus
grandes réussites de ce vilain créé en 1971 et qui reste encore de
nos jours l'une des plus grandes et des plus terribles menaces qui
pèsent sur Batman et son entourage, ainsi que sur notre monde. Un
personnage torturé, tourmenté par son passé, en lutte perpétuelle
contre l'évolution et contre l'humanité, se plaçant en bienfaiteur
de la planète tout autant qu'en meurtrier de masse pour le bien
commun. Egalement un père soucieux de sa descendance et de son
héritage, un homme vieux et fatigué qui refuse de rendre les armes
tant que sa vision ne se sera pas accomplie ou que son rêve ne soit
en sécurité entre les mains d'un digne successeur. Un temps ce rôle
aurait pu être tenu par Batman lui-même, amant de Talia, la fille
de Ra's, et que l'immortel considère toujours malgré leurs
différends et oppositions morales comme son fils spirituel.
Grâce
au travail d'Urban Comics, nous avons la joie de pouvoir lire en un
seul recueil trois récits légendaires sur le personnage et sa
relation avec Batman. Tout d'abord, dans La
naissance du Démon (Birth
of the Demon),
les secrets des origines de Ra's al Ghul nous serons enfin dévoilés,
par la bouche de sa fille Talia se confiant au Chevalier Noir avant
que l'heure de l'affrontement final entre son père et son amant ne
sonne. Les mystères de celui qui s'affranchît de la Mort elle-même
et devint pire qu'un démon, de l'homme qui perdît toute humanité
par la faute de la cruauté des hommes. Un scénario de l'écrivain
Dennis O'Neil, ayant officié de nombreuses années à la tête du
destin des séries de Batman et connaissant ses personnages sur le
bout des doigts, un récit à la fois touchant et horrible, qui se
finit en apothéose par un duel impitoyable entre les deux
antagonistes, à la vie à la mort. Le dessin et les couleurs de Norm
Breyfogle sont incroyablement beaux, chaque case ressemble à une
petite peinture et l'ambiance du Moyen-Orient médiéval est
parfaitement retranscrite. Saisissant, on ne peut qu'admirer les
efforts colossaux pour la création de ce style si particulier au
service d'une histoire toute aussi magnifique !
Ensuite,
dans Le
fils du Démon
(Son
of the Demon),
récit de Mike W. Barr sur un dessin très clair et détaillé de
Jerry Bingham paru initialement en 1987 (et merci à Urban par
ailleurs d'avoir laissé la sublime préface de l'époque signée
Mark Hamill, oui oui, grand fan de Batman devant l'éternel depuis sa
plus tendre jeunesse et qui participera à de nombreuses adaptations
animées en prêtant sa voix au Joker), retour au présent avec
Batman enquêtant sur l'assassinat d'un scientifique, dont les
recherches semblent liées à Ra's al Ghul. Découvrant finalement
que le véritable assassin désire en réalité détruire Ra's et sa
Ligue des Assassins ainsi que tous ses projets, Batman décide de
s'allier avec le terroriste immortel afin de retrouver Qayin, ancien
fils adoptif de Ra's dont les parents ont été tué dans le
bombardement nucléaire du Japon en 1945 sur les ordres de ce dernier
et qui désire depuis se venger, avant qu'il ne mette son plan à
exécution et ne provoque une catastrophe diplomatique sans précédent
en pleine Guerre Froide, qui pourrait déclencher un hiver nucléaire
sur toute la planète. L'occasion pour Batman de se rapprocher comme
jamais de Ra's et de sa fille Talia, nouant une idylle amoureuse avec
elle et concevant même un enfant. Les heures sombres semblent alors
s'éloigner et les esprits sont la fête, à l'union.
Mais bien vite la cruelle réalité refait surface et
emporte avec elle son lot d'espoirs et de rêves brisés. L'enfant à
naître n'est plus et Batman, dévasté par cette perte, s'embarque
dans une croisade d'une violence rare aux côtés de Ra's al Ghul
pour mettre un terme définitif aux agissements de Qayin. L'occasion
pour Ra's de lui aussi connaître un changement très important, en
choisissant pour la première fois de renoncer à ses idéaux et à
ses rêves d'une planète libérée du fléau de l'humanité, se
posant exceptionnellement en sauveur de celle-ci et faisant preuve
d'un héroïsme dont on ne le croyait plus capable depuis bien des
siècles. La preuve, peut-être, que tout le monde peut un jour
changer, et qu'il reste toujours un espoir quelque part ? Malgré
le côté très sombre de cette fin, un rayon d'espoir subsiste bel
et bien car l'on découvre que l'enfant n'est pas mort en réalité
et qu'il a été confié aux bons soins d'un orphelinat par sa mère,
désirant conserver le secret dans un but des plus mystérieux (Grant
Morrison, je t'ai vu !)...
Enfin,
dans le troisième et dernier volet de cette saga, La
fiancée du Démon (Bride
of the Demon),
c'est une nouvelle facette de Ra's al Ghul qui nous est dévoilée,
celle d'un homme recherchant encore et toujours le grand amour, la
femme digne de partager sa vie et ses rêves et également de porter
sa descendance. Mike W. Barr et Tom Grindberg nous racontent comment
Ra's développe son plus grand projet en parallèle de sa quête
sentimentale, réalisant l'un et l'autre dans le même temps et
faisant reposer autant d'espoirs sur chacun. Une fois encore aidé,
de façon ambiguë, par Talia, Batman va remonter la piste de Ra's
jusqu'à le dénicher dans sa base d'opérations secrète, où il
découvrira avec horreur le projet le plus terrible et le plus
grandiose de l'immortel pour rendre à la planète son aura d'antan,
sa pureté d'avant la souillure de l'humanité industrialisée. Une
œuvre démentielle qui rassemble la somme des rêves et des espoirs
du terroriste, un désir farouche de rendre le monde meilleur quel
qu'en soit le prix et quelles qu'en soient les conséquences, pour
que son héritage perdure à jamais et que la nouvelle humanité à
naître puisse être guidée par ses descendants éclairés. C'est le
point d'orgue de plus de 600 ans d'existence pour Ra's al Ghul, son
plus grand achèvement et sa plus grande entreprise, pour laquelle il
est prêt à se sacrifier corps et âme sans réserve. Quitte pour
cela à perdre l'amour de sa vie et l'affection de sa fille... mais
un rêve ne connaît aucune limite, si ce n'est la folie.
Trois
histoires magnifiques, toutes d'une façon différente, avec un style
précis et unique à chaque fois. A ma connaissance jamais aucun
personnage de cette envergure n'aura eu une telle aura auprès tant
de ses auteurs que de ses lecteurs, et ces histoires d'anthologie
rassemblées par Urban Comics sous le titre La
saga de Ra's al Ghul
forment une fresque presque parfaite, à laquelle rien ne manque, et
qui constitue selon moi l'un des meilleurs albums que j'ai pu lire
depuis Janvier 2012 et la création de l'éditeur français de DC
Comics. Vraiment, jetez-vous dessus et ne regardez pas à la dépense,
car ce gros album vaut largement son prix nettement plus cher que la
moyenne pour cette collection. Si vous ne devez lire qu'un seul
volume des ''DC Nemesis'', alors que ce soit celui-là, par pitié !
C'est une œuvre fascinante, prenante, triste, intense et tragique,
qui ne vous laissera pas indifférent quoi qu'il arrive et qui vous
fera découvrir une vraie qualité d'écriture et de représentation
dans le monde des comics, de quoi faire taire les mauvaises langues
pour un bon bout de temps.
Sur ce, je vous laisse vous faire votre propre avis et
je vous souhaite une bonne lecture, en espérant vous retrouver
bientôt pour un nouvel article !
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