mercredi 10 septembre 2014

La saga de Ra's al Ghul (Urban Comics - Juillet 2014)


Attention, là c'est du lourd. Dans la collection ''DC Nemesis'' jusqu'à présent nous n'avons eu que des récits de qualité, sur les plus grands méchants de l'univers de Batman principalement, de Bane à Double-Face en passant par Deadshot ou le Pingouin. Avec cet album-ci, très imposant et tout aussi bien fourni, nous avons le plaisir de découvrir non pas un mais trois récits parus à la fin des années 1980 et au début des années 1990 sur le personnage de Ra's al Ghul, écoterroriste immortel dont le génie rivalise largement avec celui du Chevalier Noir. Trois histoires qui nous présenteront tour à tour les origines, les failles et les plus grandes réussites de ce vilain créé en 1971 et qui reste encore de nos jours l'une des plus grandes et des plus terribles menaces qui pèsent sur Batman et son entourage, ainsi que sur notre monde. Un personnage torturé, tourmenté par son passé, en lutte perpétuelle contre l'évolution et contre l'humanité, se plaçant en bienfaiteur de la planète tout autant qu'en meurtrier de masse pour le bien commun. Egalement un père soucieux de sa descendance et de son héritage, un homme vieux et fatigué qui refuse de rendre les armes tant que sa vision ne se sera pas accomplie ou que son rêve ne soit en sécurité entre les mains d'un digne successeur. Un temps ce rôle aurait pu être tenu par Batman lui-même, amant de Talia, la fille de Ra's, et que l'immortel considère toujours malgré leurs différends et oppositions morales comme son fils spirituel.

Grâce au travail d'Urban Comics, nous avons la joie de pouvoir lire en un seul recueil trois récits légendaires sur le personnage et sa relation avec Batman. Tout d'abord, dans La naissance du Démon (Birth of the Demon), les secrets des origines de Ra's al Ghul nous serons enfin dévoilés, par la bouche de sa fille Talia se confiant au Chevalier Noir avant que l'heure de l'affrontement final entre son père et son amant ne sonne. Les mystères de celui qui s'affranchît de la Mort elle-même et devint pire qu'un démon, de l'homme qui perdît toute humanité par la faute de la cruauté des hommes. Un scénario de l'écrivain Dennis O'Neil, ayant officié de nombreuses années à la tête du destin des séries de Batman et connaissant ses personnages sur le bout des doigts, un récit à la fois touchant et horrible, qui se finit en apothéose par un duel impitoyable entre les deux antagonistes, à la vie à la mort. Le dessin et les couleurs de Norm Breyfogle sont incroyablement beaux, chaque case ressemble à une petite peinture et l'ambiance du Moyen-Orient médiéval est parfaitement retranscrite. Saisissant, on ne peut qu'admirer les efforts colossaux pour la création de ce style si particulier au service d'une histoire toute aussi magnifique !

Ensuite, dans Le fils du Démon (Son of the Demon), récit de Mike W. Barr sur un dessin très clair et détaillé de Jerry Bingham paru initialement en 1987 (et merci à Urban par ailleurs d'avoir laissé la sublime préface de l'époque signée Mark Hamill, oui oui, grand fan de Batman devant l'éternel depuis sa plus tendre jeunesse et qui participera à de nombreuses adaptations animées en prêtant sa voix au Joker), retour au présent avec Batman enquêtant sur l'assassinat d'un scientifique, dont les recherches semblent liées à Ra's al Ghul. Découvrant finalement que le véritable assassin désire en réalité détruire Ra's et sa Ligue des Assassins ainsi que tous ses projets, Batman décide de s'allier avec le terroriste immortel afin de retrouver Qayin, ancien fils adoptif de Ra's dont les parents ont été tué dans le bombardement nucléaire du Japon en 1945 sur les ordres de ce dernier et qui désire depuis se venger, avant qu'il ne mette son plan à exécution et ne provoque une catastrophe diplomatique sans précédent en pleine Guerre Froide, qui pourrait déclencher un hiver nucléaire sur toute la planète. L'occasion pour Batman de se rapprocher comme jamais de Ra's et de sa fille Talia, nouant une idylle amoureuse avec elle et concevant même un enfant. Les heures sombres semblent alors s'éloigner et les esprits sont la fête, à l'union.
Mais bien vite la cruelle réalité refait surface et emporte avec elle son lot d'espoirs et de rêves brisés. L'enfant à naître n'est plus et Batman, dévasté par cette perte, s'embarque dans une croisade d'une violence rare aux côtés de Ra's al Ghul pour mettre un terme définitif aux agissements de Qayin. L'occasion pour Ra's de lui aussi connaître un changement très important, en choisissant pour la première fois de renoncer à ses idéaux et à ses rêves d'une planète libérée du fléau de l'humanité, se posant exceptionnellement en sauveur de celle-ci et faisant preuve d'un héroïsme dont on ne le croyait plus capable depuis bien des siècles. La preuve, peut-être, que tout le monde peut un jour changer, et qu'il reste toujours un espoir quelque part ? Malgré le côté très sombre de cette fin, un rayon d'espoir subsiste bel et bien car l'on découvre que l'enfant n'est pas mort en réalité et qu'il a été confié aux bons soins d'un orphelinat par sa mère, désirant conserver le secret dans un but des plus mystérieux (Grant Morrison, je t'ai vu !)...

Enfin, dans le troisième et dernier volet de cette saga, La fiancée du Démon (Bride of the Demon), c'est une nouvelle facette de Ra's al Ghul qui nous est dévoilée, celle d'un homme recherchant encore et toujours le grand amour, la femme digne de partager sa vie et ses rêves et également de porter sa descendance. Mike W. Barr et Tom Grindberg nous racontent comment Ra's développe son plus grand projet en parallèle de sa quête sentimentale, réalisant l'un et l'autre dans le même temps et faisant reposer autant d'espoirs sur chacun. Une fois encore aidé, de façon ambiguë, par Talia, Batman va remonter la piste de Ra's jusqu'à le dénicher dans sa base d'opérations secrète, où il découvrira avec horreur le projet le plus terrible et le plus grandiose de l'immortel pour rendre à la planète son aura d'antan, sa pureté d'avant la souillure de l'humanité industrialisée. Une œuvre démentielle qui rassemble la somme des rêves et des espoirs du terroriste, un désir farouche de rendre le monde meilleur quel qu'en soit le prix et quelles qu'en soient les conséquences, pour que son héritage perdure à jamais et que la nouvelle humanité à naître puisse être guidée par ses descendants éclairés. C'est le point d'orgue de plus de 600 ans d'existence pour Ra's al Ghul, son plus grand achèvement et sa plus grande entreprise, pour laquelle il est prêt à se sacrifier corps et âme sans réserve. Quitte pour cela à perdre l'amour de sa vie et l'affection de sa fille... mais un rêve ne connaît aucune limite, si ce n'est la folie.

Trois histoires magnifiques, toutes d'une façon différente, avec un style précis et unique à chaque fois. A ma connaissance jamais aucun personnage de cette envergure n'aura eu une telle aura auprès tant de ses auteurs que de ses lecteurs, et ces histoires d'anthologie rassemblées par Urban Comics sous le titre La saga de Ra's al Ghul forment une fresque presque parfaite, à laquelle rien ne manque, et qui constitue selon moi l'un des meilleurs albums que j'ai pu lire depuis Janvier 2012 et la création de l'éditeur français de DC Comics. Vraiment, jetez-vous dessus et ne regardez pas à la dépense, car ce gros album vaut largement son prix nettement plus cher que la moyenne pour cette collection. Si vous ne devez lire qu'un seul volume des ''DC Nemesis'', alors que ce soit celui-là, par pitié ! C'est une œuvre fascinante, prenante, triste, intense et tragique, qui ne vous laissera pas indifférent quoi qu'il arrive et qui vous fera découvrir une vraie qualité d'écriture et de représentation dans le monde des comics, de quoi faire taire les mauvaises langues pour un bon bout de temps.

Sur ce, je vous laisse vous faire votre propre avis et je vous souhaite une bonne lecture, en espérant vous retrouver bientôt pour un nouvel article !

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