Billy Summers n'est pas vraiment un assassin, à proprement parler. Un tueur à gages, certes oui, mais il n'accepte que les contrats fixés sur des méchants, des gens aux comportements et aux actes réellement répréhensibles. Cela fait de lui, à ses yeux du moins même s'il ne s'abuse jamais, une sorte de justicier qui débarrasse ce monde déjà bien sombre d'une partie de ses ordures.
Quand Billy est contacté par son commanditaire habituel pour un nouveau contrat, il sait que ce sera très certainement le dernier de sa carrière. Il a envie de passer à autre chose, de tirer sa révérence et de faire amende honorable, peut-être, si on le lui permet. Et puis, même s'il est d'abord hésitant, deux millions de dollars ça ne se refuse pas pour projeter une belle retraite. Surtout que le travail en lui-même est on ne peut plus simple pour quelqu'un comme lui : attendre sagement dans un logement vide qu'une fenêtre de tir idéale se présente, presser la détente, éliminer la cible, et au-revoir tout le monde.
Ce que Billy n'avait pas prévu, mais qu'il redoutait secrètement dès les premiers instants de préparation pour cette dernière mission, c'est qu'il allait finir par s'attacher aux gens du cru que sa fausse identité l'obligeait à fréquenter. Devenir un bon voisin, un ami, un amant même... nouer des liens. Tout ce qu'il ne faut pas faire, se répète-t-il, mais il ne peut s'en empêcher, les gens sont attirés vers lui comme des papillons par une lumière intense. Il a la sympathie dans le sang, que voulez-vous.
Mais quand vient enfin l'heure fatidique, Billy est parcouru de nombreux doutes. Plus il y pense, et plus cette affaire sent le pourri à plein nez. Trop facile, trop encadrée aussi, et trop de personnes étrangères qu'il ne connaît pas et qu'il ne contrôle pas. Il tire finalement, la cible est éliminée comme prévu, et il s'échappe par son propre plan personnel, loin des ficelles qui devaient lui indiquer la voie de repli idéale selon les employeurs. C'est là que les ennuis commencent vraiment.
Sous une toute autre identité, Billy se fait très discret et attend que l'orage passe, que les autorités cessent de bloquer les routes à la recherche d'un criminel notoire et que ses commanditaires aillent le chercher ailleurs. Tout ce qui lui importe, c'est de recevoir son fric bien mérité et de se mettre au vert le reste de sa vie. Ça, et aussi son petit projet parallèle, auquel il a rapidement pris goût : écrire un roman racontant sa vie décousue, de son enfance à cette dernière mission si étrange, comme une sorte de confession adressée à personne d'autre que lui-même, pour le plaisir, pour l'exercice, pour savoir s'il a au fond de lui l'étoffe d'un auteur qui s'ignore. Et c'est plutôt bon, il doit bien le reconnaître.
Quand Alice, une jeune femme violée et abandonnée dans la ruelle sordide non loin du repaire de Billy, fait cette entrée fracassante dans sa vie, le tueur à gages vigilante décide qu'il va non seulement lui porter secours, mais également la venger en traquant ses violeurs et en leur faisant chèrement payer les horreurs qu'ils lui ont fait subir. Alice, quant à elle, s'attache également à son Samaritain, peut-être prise dans les premières bouffées d'un sévère syndrome de Stockholm, mais elle n'en a rapidement plus rien à faire et veut simplement accompagner Billy dans sa nouvelle croisade.
Parce que Billy a un plan bien ficelé en tête, désormais. Il va remonter la chaîne de commandement, maillon par maillon, jusqu'aux décisionnaires, pour exiger son fric, sa récompense, et surtout comprendre pourquoi il a cette si sale impression au sujet de ce contrat depuis le début. Le sentiment de s'être fait manipuler et que dans cette histoire, il n'était destiné qu'à être un outil jetable bien pratique. Évidemment, avec Alice à ses côtés, les choses vont être plus délicates à mettre en place, même si la jeune femme fait montre d'un précieux enthousiasme. Un attachement des plus sincères va alors se mettre en place entre eux, entre ces deux épaves que la vie a bien abîmé et qui cherchent Justice dans un monde où les gentils et les méchants s'affrontent dans une immense zone de grisaille.
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C'est l'histoire de Billy Summers, c'est l'histoire d'un tueur, c'est l'histoire d'un auteur. Beaucoup de thèmes chers à Stephen King depuis quelques années, une mise en abîme sur plusieurs niveaux qui fonctionne du tonnerre et qui démontre si besoin était que le Maître de l'Horreur est également des plus adroits quand il s'agit de dérouler le fil d'un bon thriller pas trop sombre mais vraiment passionnant. Rien de surnaturel en plus, l'exercice est donc appréciable et change de ce à quoi on avait l'habitude la plupart du temps chez King... quoique ? Vous verrez bien.
Le plus grand intérêt dans ce roman c'est qu'il est double, on suit à la fois la progression de Billy le tueur et également celle du récit qu'il raconte sur son ordinateur personnel quand il n'a rien d'autre à faire ou que le feu dévorant de l'inspiration le consume. C'est un moyen très malin d'exposer la jeunesse du personnage tout en décrivant son évolution présente dans l'intrigue générale, et King s'efforce même de prendre plusieurs styles de voix pour cela, comme si l'écriture de son personnage était elle-même en train d'évoluer à mesure qu'il se dévoile.
Billy Summers est un auteur qui s'ignore, torturé par ses vieux démons, très vite obsédé à l'idée de laisser derrière lui un vibrant témoignage de son passage sur Terre, de ce qui l'animait au temps jadis, de ce qui le pousse à faire ce qu'il fait. Pas pour se défendre devant la morale, non, simplement pour lui-même, et éventuellement Alice puisqu'elle est partie intégrante de l'histoire au bout d'un moment. On retrouve chez Billy énormément d'interrogations et de complexes que peuvent avoir les auteurs en devenir, en gestation, avant de se lancer corps et âme dans ce pari risqué qu'est l'écriture. Le présent et le passé s'entremêlent donc régulièrement au cœur de ce double roman, où le lecteur devra parfois prendre son mal en patience pour poursuivre l'intrigue principale après une salve de souvenirs. Je n'en dévoile volontairement pas davantage pour ne pas vous gâcher la nature et les sujets de ces deux récits liés à plus d'un titre.
Autre élément important, le dédain et le dégoût profonds que Stephen King ressent pour les Donald Trump & Cie qui dirigent cette Amérique de 2019, et qui en prennent très souvent pour leur grade à grand renfort de petites piques et remarques blessantes mais tellement justes au fond. Ah oui, et à ma grande surprise teintée de crainte, un ''personnage'' emblématique de l'auteur fait sa réapparition dans ce roman, prouvant ainsi qu'il se déroule dans un univers partagé avec certaines œuvres précédentes et que rien n'est jamais laissé totalement au hasard ni en friche bien longtemps...
Billy Summers, c'est je pense une lettre d'amour de Stephen King à la carrière d'écrivain qu'il a embrassé il y a bien longtemps, une confession aussi par l'intermédiaire de son personnage éponyme. Et, qui sait, peut-être aussi le début d'une nouvelle piste à explorer pour celui dont le surnaturel horrifique a guidé la vie pendant des décennies et qui cherche depuis quelques années à ancrer davantage ses pensées dans le réel et le concret d'un monde qui en manque cruellement.
Sur ce, je vous laisse vous faire votre propre avis et je vous souhaite une bonne lecture, en espérant vous retrouver bientôt pour un nouvel article !
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