Basin City. Une ville double, une simple étape sur la route de l'Ouest et des jours meilleurs. Si vous la connaissiez mieux, vous l'appelleriez simplement Sin City, sans sourciller. Là bas il se passe des choses vraiment pas nettes, des trucs à vous coller des cauchemars à vie, l'horreur d'un quotidien désespéré et aux abois. La ville est tenue par la pègre, les pourris, et écumée chaque nuit par tous les malades que l'on peut imaginer fiévreusement dans la sécurité de son petit chez-soi. Vous n'y croyez pas ? Alors embarquez pour une petite visite guidée...
Dans The Hard Goodbye, une brute épaisse du nom de Marv se change en ange vengeur quand l'amour de sa vie, une prostituée de luxe rencontrée la veille, est assassinée juste à côté de lui après leur nuit magique. Poursuivi par tous les flics de la ville, puis par des commandos spéciaux, Marv va faire remonter la merde des égouts de cet Enfer sur Terre, et mettre à jour un véritable massacre organisé servant les intérêts des plus hauts placés de l'État. Il sait qu'il ne va pas s'en tirer, cette fois ce ne sera pas simplement un tour par la case prison, il va y rester pour de bon et on va s'arranger pour le charger à bloc, mais il s'en fiche, il est prêt à tout pour venger Goldie, et faire passer un message à tous les enfoirés qui pullulent dans cette ville. Les adieux seront rapides, expédiés avec le courant à haut-voltage, et une légende vivante de Sin City s'éteindra pour toujours. Mais après son passage, rien ne sera plus jamais comme avant.
Dans J'ai tué pour elle, Dwight McCarthy se retrouve aux prises avec ses vieux démons quand une ancienne amante passionnée refait soudain surface pour le supplier de la sauver de son mari, une brute épaisse qui la tyrannise et s'apprête à la tuer froidement. Dwight avale l’appât et l'hameçon tout rond, et il faut peu de temps pour que la situation ne devienne complètement merdique autour de lui. Ballotté de mensonges en mensonges, de trahisons en déceptions, la gueule entièrement passée au verre pilé, Dwight commence à penser qu'il s'est fait sérieusement avoir. Et il n'aime vraiment pas ça. Alors, réfugié dans la vieille ville, là où la loi n'a plus son mot à dire, il va échafauder un petit plan de son crû pour faire payer Ava, cette garce qui joue avec les hommes comme avec des pions sur un échiquier des plus malsains. A la sortie, l'un des deux devra mourir, le chevalier déchu ou la belle diablesse. Une chose est sûre cependant, ce sera une vraie partie de plaisir.
Dans Le grand carnage, nous retrouvons de nouveau ce cher Dwight McCarthy alors qu'il doit affronter la plus terrible épreuve qui lui ait été réservée par cette chienne de vie : la vieille ville va brûler, tout va être à feu et à sang, car un flic a été tué et la guerre est déclarée. Les truands sont déjà sur les dents, ils n'attendent que le bon moment pour ramasser les restes fumants de la vieille ville et en devenir les nouveaux maîtres, mais les filles qui vivent là font encore la loi et ne se laisseront pas réduire en esclavage si facilement. Grâce à Dwight, elles échafaudent un plan digne des plus grands récits de guerre antiques, et éliminent méthodiquement et avec une précision cruelle le moindre des gêneurs capable de venir gâcher la fête. Le grand carnage a commencé, il finira bientôt, et tout en haut de la chaîne de commandement quelqu'un comprendra qu'il vaut mieux rester en dehors de la vieille ville et ne pas chercher des ennuis aux filles qui y font la loi et à leur bras armé.
Dans Cet enfant de salaud, l'un des seuls flics vraiment intègre de la police de Basin City fait tout son possible, à une heure de la retraite anticipée, pour coincer un tueur pédophile qui retient une petite de onze ans en otage. L'arrestation tourne mal, surtout parce que le tueur en question n'est autre que le fils chéri du tout puissant sénateur Roark, et que rien ne sera retenu contre lui. Personne ne voudra se mouiller, même pour sauver une gosse innocente. Personne sauf John Hartigan, qui passera huit ans en prison pour un crime qu'il n'a jamais commis. Quand sa petite protégée, Nancy Callahan, semble disparaître, Hartigan est enfin libéré et conduit sans le savoir les mauvaises personnes droit vers la jeune femme, maintenant âgée de dix-neuf ans et reine de saloon intouchable. Commence alors une longue course contre la montre pour Hartigan, qui doit une ultime fois sauver Nancy de la furie vengeresse d'un prédateur notoire que rien d'autre qu'une mort violente et bien méritée n'arrêtera. Mais pour Hartigan lui-même, les jeux sont faits, il n'y aura pas de happy end. Pas de repos pour les braves...
Dans Valeurs familiales, ce cher vieux Dwight McCarthy poursuit sa mission et continue de protéger les filles de la vieille ville dès que l'on fait appel à lui. En compagnie de la mortelle petite Miho, Dwight va remonter la piste d'un groupe d'assassins de la mafia qui a commis la bourde de trop au mauvais endroit au mauvais moment. Quelqu'un va devoir payer pour le sang versé, et au bout d'une longue promenade au clair de lune Dwight et Miho vont faire s'abattre la vengeance d'une femme blessée au plus profond de son être par le mal que peuvent faire les hommes aveuglés. La mafia et les truands vont se déclarer la guerre après ça, sûrement, mais ce ne sera plus le problème de la vieille ville. La loi des filles règne partout, tout le temps.
Dans Des filles et des flingues, justement, nous avons plusieurs petites occasions de constater qu'à Sin City les femmes ont souvent leur mot à dire, un mot qui peut signifier la vie ou la mort d'à peu près n'importe qui. Des prostituées de la vieille ville en passant par les tueuses apprenties ou les femmes fatales, aucune ne fait marche arrière quand il s'agit d'exécuter un contrat ou de se salir les mains. A Sin City comme dans la vieille ville, les femmes sont reines, guerrières, amantes et faucheuses tout à la fois.
Enfin, dans L'Enfer en retour, un jeune soldat revenu du front appelé Wallace tombe nez à nez avec une jeune femme suicidaire qui se jette du haut d'une falaise. Après l'avoir sauvé, Wallace se retrouve dans les ennuis jusqu'au cou quand il entre malgré lui dans une conspiration militaire de haute volée qui va chercher ses racines jusqu'au cœur même de Sin City. Rien ni personne n'est à l'abri, rien ni personne n'en sortira indemne. C'est l'heure de la vengeance pour Wallace, mais ce qu'il recherche c'est avant tout secourir cette femme, Esther, dont il ignore presque tout mais dont il est clairement tombé sous le charme. Et tandis que la ville tremble en cette nuit fatidique, les forces de police vont enfin devoir faire un choix d'ampleur et prendre position dans cette lutte sans fin contre le vice et le péché. A Sin City se trame quelque chose de vraiment moche, même au regard de toutes ces années passées à collectionner les déviances. Et il est temps d'y mettre fin.
---
Voilà ce que l'on peut trouver dans cet énorme omnibus sorti chez Rackham il y a quelques années maintenant, pour le prix modique de 75€ il me semble bien. Niveau conception du bouquin, on pourrait lui reprocher d'être un peu petit question hauteur, mais sans ça c'est du haut de gamme comme on en voit rarement. Je regrette simplement que la couverture retenue pour l'album ne représente pas Nancy Callahan, personnage assez central de toutes ces aventures nocturnes qui, pour certaines, font vraiment froid dans le dos.
Avec Sin City, le légendaire Frank Miller nous plonge dans un Enfer du quotidien dont il a le secret, une lutte incessante pour la survie même au pire des prix, où se croisent les Chevaliers du temps jadis et les raclures de bas étage. Même dans la ville la plus pourrie du monde, il y a encore des âmes nobles qui font de leur mieux quand on leur en donne l'occasion, même si ça s'avère souvent fatal. La rédemption n'est pas quelque chose que l'on obtient facilement, mais on peut la croiser au détour d'une ruelle ou au bout d'une route sans fin dans le désert, si on sait prendre le bon virage.
Le dessin est simplement magique, ce n'est pratiquement que du noir et du blanc, de l'encrage blanc sur des pages noires, ou inversement comme vous préférez, c'est juste saisissant de brutalité et d'efficacité. Quelques notes de couleurs feront petit à petit leur apparition à certains moments, pour vite disparaître dans les recoins de notre mémoire, comme de petits îlots de normalité au sein d'un polar plus noir que la nuit elle-même. C'est violent, c'est brutal, c'est sexy aussi, bref c'est du grand Frank Miller qui se lâche totalement sans pour autant verser dans la déviance politique facile qu'on lui connaît un peu trop malheureusement depuis quelques décennies.
Les éditions Rackham ont fait avec cet omnibus un très beau travail, le papier est de qualité, épais et agréable au toucher, et fait parfaitement ressortir et ressentir ce contraste incroyable entre blanc et noir. Les pleines pages sont magnifiques au bas mot, et je me prends souvent à rêver posséder une planche originale de ces illustrations. Très souvent au cours de cette lecture, vous tomberez sur plusieurs pages de suite où il n'y a aucun texte, aucun ''bruit'' si l'on peut dire, que du silence et de la violence gratuite ou bien des moments forts de simple observation entre prédateurs nocturnes.
Pour celles et ceux qui connaissent Sin City avant tout grâce au légendaire film de Robert Rodriguez co-réalisé par Frank Miller lui-même, cet omnibus vous prouvera que l'on savait encore faire du très bon travail d'adaptation d'une bande-dessinée sur grand écran à l'époque, sans fioritures, sans chichis, que du bon et du fidèle. Le Hartigan incarné par Bruce Willis, le McCarthy de Clive Owen, le Marv spectaculaire de Mickey Rourke, ou encore la Nancy Callahan de Jessica Alba... autant de souvenirs impérissables qui ont porté haut et fort les couleurs si sombres de cette anthologie. Sept albums, deux films, des heures et des heures de lecture, entre polar noir et thriller franc du collier, avec un humour parfois limite mais jamais dépassé, et une telle justesse dans la caractérisation de ses personnages et de leurs démons que c'en devient criminel.
A l'image des visiteurs de passage, si vous débarquez à Sin City, si vous avez de l'argent à perdre et si vous recherchez une expérience unique en son genre, vous trouverez de quoi vous plaire. Faites un tour dans la vieille ville si vous l'osez, mais faites bien attention à vos mains baladeuses ou à vos paroles malheureuses, un rien peut vous expédier dans les marais où l'on ne risque pas de vous retrouver. Une lecture à ne pas mettre entre toutes les mains, et je conseille mon propre parcours à savoir commencer par le film (je zappe le second qui contient trop de rallonge à mon goût même si c'était sympa de retrouver certains membres du casting) puis finir de s'achever avec la bande-dessinée, merveilleusement traduite et travaillée par les équipes de Rackham chez nous. C'est mon petit conseil de fin d'année et une sorte de cadeau de Noël à mes lecteurs et auditeurs, j'espère que vous saurez retrouver votre chemin dans le noir par la suite.
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture et un Joyeux Noël 2022 à toutes et à tous, je vous laisse vous faire votre propre avis, en espérant vous retrouver bientôt pour un nouvel article !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire