lundi 25 septembre 2023

Les Contes Interdits - Pinocchio (ADA Éditions - Juin 2018)


Patrick n'était encore qu'un enfant quand ses parents ont fait de lui un monstre, en le faisant participer à des jeux pervers et en les lui faisant subir également quand l'envie leur prenait. A tel point qu'avant même ses dix-huit ans, Patrick s'est pendu à l'arbre derrière sa maison, peut-être en espérant échapper à tout ça. Ses parents furent arrêtés, et Patrick décroché juste à temps pour être emmené à l'hôpital en urgence absolue.


Amnésique, Patrick ne se souvient de rien de son passé, hormis quelques bribes qui remontent parfois à la surface à travers ses mauvais rêves et quelques allusions qu'il surprend entre les adultes parlant de son cas. Une travailleuse sociale décide de le placer chez son grand-père maternel, le temps que les choses s'arrangent. Le vieil homme, du nom de Joseph, est tout sauf ravi d'accueillir un petit-fils dont il n'avait aucune idée de l'existence, et surtout pas après toutes les horreurs qui sont sorties dans la presse au cours de l'enquête. En plus, Joseph a ses habitudes bien arrêtées, une vie solitaire organisée entre l'alcool et la menuiserie artisanale, et une collection maladive de jouets qu'il répare ou fabrique et entrepose n'importe où dans sa maison-dépotoir.


Amené à vivre avec Joseph au moins jusqu'à sa majorité, Patrick va devoir se débrouiller pour trouver à manger et survivre dans ce capharnaüm, survivre à l'école aussi où les brutes locales ont tôt fait de lui mettre la main dessus, survivre surtout avec les souvenirs absents qui ne demandent qu'à remonter à la surface à travers des sensations étranges, une envie de cruauté pure envers certains animaux également, et une répugnance manifeste pour le sexe féminin.


Patrick, tout amnésique qu'il soit, n'est pas un ange pour autant. Il passe le plus clair de son temps sur son ordinateur portable, à s'inventer une vie et de faux profils Facebook, pour arnaquer des jeunes femmes en se faisant passer pour une pauvre victime et en leur extorquant affection et surtout argent pour assurer son train de vie. L'objectif de Patrick est clair, il veut réunir suffisamment d'argent pour se tirer de chez Joseph, qui n'a pour lui que mépris, et mener la grande vie par ses propres moyens, souvent à la limite de la légalité.


Quand les arnaques en ligne ne suffisent plus, Patrick n'hésite pas un seul instant à sauter sur les occasions les plus baroques qui se présentent à lui : dealer des amphétamines à la sortie des écoles, combattre dans une arène frauduleuse pour le plaisir d'hommes aussi pervers que ses propres parents, et voler et surtout surtout, mentir, encore et toujours. Plus le mensonge est gros, plus le plaisir que Patrick en retire l'est tout autant. Bientôt, se faire passer pour une victime de la vie ne suffit plus non plus, il en rajoute des caisses sur les mauvais traitements qu'il subit au quotidien dans son établissement scolaire, qu'il ne fréquente d'ailleurs pratiquement plus. Et les gens en ligne sont assez naïfs ou assez horrifiés par ses récits pour le croire et lui prodiguer encouragements et soutiens financiers.


Jusqu'au jour où tout ça ira beaucoup trop loin, même pour le mythomane patenté qu'est devenu Patrick. Les choses se bousculent soudain et les malheurs s'enchaînent à un rythme effréné, les combines se débinent, la vérité éclate un peu partout et le sol se dérobe sous ses pieds. Entre les retours de bâton de ses mensonges et les hallucinations cauchemardesques qui font revenir les souvenirs de son enfance dans son esprit torturé, Patrick est au bord de l'implosion, qui se produira fatalement et dans laquelle il entraînera la plupart des gens de son maigre entourage. Même la présence d'une inespérée Fée Bleue dans sa vie, seul vecteur de sincère gentillesse à son égard et seul véritable espoir de liberté, ne sera au final qu'un ultime coup de massue que son existence minable lui assènera pour mieux le renvoyer dans les cordes et achever de le briser.


Plus que tout, Patrick veut être libre, ne plus jamais être le pantin de personne, ne plus jamais rien devoir à qui que ce soit, et s'émanciper des souvenirs, des cauchemars, de la hantise et du goût du sang. Même le sexe ne lui fait vivre que troubles et tiraillements de plus en plus graves et intenses. Au fond du trou, Patrick est sur le point de se faire avaler tout entier par la colère et l'envie de se venger, de tout détruire autour de lui, pour que son monde ressemble à ce qu'il est à l'intérieur, un être brisé de toutes parts et qui n'a déjà plus aucun espoir de revoir un jour la lumière salvatrice.


---

 

Pour être honnête avec vous, chères lectrices et chers lecteurs, en lisant cette version de Pinocchio par Maude Royer dans la collection des Contes Interdits je ne m'attendais pas vraiment à tant de violence morale et physique, même si quelques signes auraient du me mettre la puce à l'oreille.


Je ne peux m'empêcher de regretter un peu cette lecture, car ce n'est clairement pas ce que je m'attendais à y trouver et certainement pas ce qui m'a fait le plus de bien dernièrement dans mes pérégrinations littéraires. Ces réécritures modernes des contes en version très sombre ont toujours eu un côté très voyeur et montreur, et la perversité est une donnée clairement assumée à chaque fois bien qu'à des degrés divers et variés selon les auteurs et autrices de la collection.


Peut-être que j'avais l'espoir assez naïf moi aussi qu'avec une autrice de romans pour enfants comme Maude Royer, ce conte malfaisant ne serait pas si noir, pas si infernal, pas si désespéré et désespérant. Je m'étais trompé, et de beaucoup.


Je n'ai jamais à ma connaissance ressenti le moindre intérêt et surtout la moindre once de compassion pour le personnage principal, du début à la fin. Chaque chapitre, chaque page, est l'occasion de le voir s'enfoncer davantage dans ses méfaits et dans ses mensonges, et de faire souffrir toutes les personnes qu'il approche ou qu'il rencontre. Patrick Nocchio est conçu, selon moi, pour être parfaitement antipathique à quiconque le lira, un portrait saisissant de réalisme de ce que peuvent être les pires trolls et harceleurs que l'on trouve à foison sur les réseaux sociaux comme Facebook, Twitter/X, Instagram, YouTube, etc. etc. Ces êtres toxiques n'ont pas la moindre parcelle de gentillesse en eux, pas le moindre état d'âme, et doivent être condamnés dès le départ avec la plus grande fermeté pour tout le mal qu'ils font et continueront de faire tant qu'ils ne seront pas arrêtés.


Pour le coup, Maude Royer réussit à nous raconter une vérité qui dérange beaucoup à travers une montagne de mensonges tous plus gros les uns que les autres, une vérité sur la société virtuelle dans laquelle nous vivons toutes et tous, à laquelle nous contribuons et participons à divers degrés, et dans laquelle certaines et certains se noient totalement quand d'autres s'y complaisent éhontément. Franchement, cette lecture n'était pas pour moi, et elle restera je le pense un moment assez désagréable et décevant. Et heureusement, j'ai envie de dire, parce que dans le cas contraire je m'interrogerais fiévreusement sur mes propres inclinaisons à la cruauté perverse et gratuite, du moins si j'avais encore une conscience.


Sur ce, je vous laisse vous faire votre propre avis et je vous souhaite une bonne lecture, en espérant vous retrouver bientôt pour un nouvel article !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire