mardi 3 décembre 2024

Somna (Delcourt - Novembre 2024)

Couverture exclusive Pulp's Comics par Tula Lotay

En des temps reculés, où l'obscurantisme faisait rage et où les croyances absurdes et les préjugés étaient légions, quand la parole de l'homme avait force de loi... en ce temps-là, une femme prie pour le salut de son âme.


Cette femme, c'est Ingrid, mariée au chasseur de sorcières du village. Alors que son mari exécute par le bûcher une pauvre condamnée, Ingrid semble envahie par de mauvais rêves, des cauchemars qui la paralysent et la laissent pantelante, haletante, la possédant toute la nuit durant. Dans ces cauchemars, Ingrid voit un homme tout de noir vêtu, en permanence enveloppé d'ombres, les yeux seuls brillant d'un éclat malsain. Cet homme, ou cet être venu d'ailleurs, veut prendre possession de l'âme d'Ingrid ainsi que de son corps. Et, chaque nuit, les unes après les autres, le démon revient à la charge et pousse la pauvre femme à des extrémités qu'elle ne se connaissait pas.


Alors que Roland, son mari, est absent du village pour quelques temps, les assauts du démon se font plus pressants, plus impitoyables... plus intenses. Ingrid sait que sa meilleure amie Maja, peut-être la seule, est au cœur d'une véritable tragédie conjugale et que le péché est en elle, qui entretient une liaison adultère avec un homme veuf totalement épris de ses charmes mais conscient de fauter. Peut-être que cette culpabilité qu'Ingrid ressent au sujet de cette histoire, de ce secret qu'elle dissimule, la ronge et que cela expliquerait les visions de ses nuits hantées par le démon ?


Mais lorsque Roland rentre enfin de son voyage, il est trop tard pour Ingrid, finalement consumée par le péché de chair sous les yeux de son mari. N'ayant plus d'autre choix, le bailli rejoint l'avis du prêtre du village et décide de condamner sa propre femme pour sorcellerie, l’exhortant toutefois sur le chemin menant aux cachots de se repentir et de prier pour son âme immortelle. Le procès est une mascarade montée de toutes pièces contre Ingrid, qui découvre avec horreur la véritable nature des lois de l'homme. Plus aucun espoir n'est alors permis, et Ingrid sera brûlée sur le bûcher au soleil levant, comme l'exigent les commandements de Dieu.


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Était-ce réellement une histoire de possession ? La pauvre Ingrid était-elle réellement tentée et tourmentée sans relâche par un démon réclamant son âme et son corps ? Ou bien la vérité est-elle tout autre, peut-être plus terrible encore que ces croyances obscures... ce sera à vous, chères lectrices et chers lecteurs, de trancher cette question à l'issue de cette lecture des plus envoûtantes.


Écrite et dessinée à quatre mains par les artistes maintenant bien connues que son Becky Cloonan et Tula Lotay, Somna est une mini-série en quelques chapitres seulement, nous racontant une histoire sordide où les apparences sont plus que trompeuses et où les certitudes les plus solides peuvent voler en éclats ou bien faire condamner la mauvaise personne à un châtiment pire que la mort. Au travers de la hantise nocturne d'Ingrid, c'est toute la question de la condition des femmes et de leur dépendance contrainte aux désirs des hommes qui sera soulevée, et plusieurs interprétations s'offrent à nous après avoir refermé cet album, magnifique au demeurant.


Si vous êtes familiers des cauchemars et autres terreurs nocturnes, vous savez sans doute ce qu'est la paralysie du sommeil, et à quel point il fut difficile de la faire reconnaître et inscrire officiellement dans les manuels de médecine. Ingrid est peut-être tout simplement victime d'une longue crise de ce phénomène psychique, provoquant visions et délires fiévreux, auxquels viennent s'ajouter de trop longues années de frustrations et de rêves déçus, noyés dans un quotidien tout sauf épanouissant...


Mais peut-être, à l'inverse, qu'il s'agit réellement d'une hantise démoniaque et que les vagues de plaisir coupable ressenties par Ingrid sont le témoignage de la luxure provoquée par cette tentative de possession, peut-être que son âme est véritablement en danger et que les croyances occultes en la sorcellerie sont fondées...


Cela, ce sera à vous de le déterminer. Il n'en reste pas moins qu'un ou plusieurs crimes bien réels ont été commis dans le même village, et que quelqu'un peut aussi tenter de dissimuler ses traces et de détourner les soupçons en s'en prenant à une pauvre innocente peut-être un rien trop curieuse, ou se trouvant simplement au mauvais endroit au mauvais moment. A qui faire confiance, quand la réalité et la rêverie se mêlent aussi sournoisement et que l'on en vient à douter de tout, y compris et surtout de soi-même ?


Fantasmes, frustrations, féminisme naissant et notions d'amours contrariés sont au programme de ce titre qui ma foi fera sans aucun doute son petit chemin dans les bibliothèques des amatrices et amateurs du genre. Magnifiquement édité par Delcourt, ce comic-book très particulier saura immanquablement séduire et horrifier tout à la fois, nous replongeant dans les heures les plus sombres de notre Histoire et nous confrontant autant à nos préjugés qu'à nos failles et manquements quotidiens.


Sur ce, je vous laisse vous faire votre propre avis et je vous souhaite une bonne lecture, en espérant vous retrouver bientôt pour un nouvel article !

lundi 2 décembre 2024

Les Quatre Soeurs March (Pocket - Avril 2024)


Dans une grande maison autrefois aisée mais aujourd'hui bien appauvrie, vivent quatre sœurs que rien ne saurait séparer. Il y a Meg, l'aînée, volontiers sentimentale et moraliste mais toujours de bon conseil ; Jo, intrépide aventurière littéraire qui passe son temps entre une attitude de garçon manqué et un imaginaire débordant, ne délaissant pas pour autant ses tâches quotidiennes ; Beth, véritable amour se souciant de chacun et portant une attention toute particulière à ses poupées et à ses gammes ; et Amy, la petite princesse peut-être un peu trop choyée qui a du mal à retenir ses leçons et qui ne cesse de se rêver grande artiste.


Quatre filles, quatre styles, mais elles sont toutes gentilles. Leur mère est à leurs côtés chaque jour qui passe, fixant les travaux à réaliser au quotidien et veillant sagement sur son petit troupeau sans jamais se montrer ni trop sévère ni inflexible. Leur père est à la guerre, pasteur au front dans les environs de Washington, et ne peut malheureusement que leur envoyer toute son affection par quelques lettres qui leur parviennent difficilement. A charge donc à Mme March d'éduquer ses filles dans le respect des traditions mais également des progrès réalisés par la société de leur époque.


Au fil de cette année de vie, nous les découvrirons émues, fâchées, inspirées, serviables, travailleuses et paresseuses, mortellement inquiètes, rieuses et farceuses ou encore colériques et revêches. Les frasques de leur voisin, le jeune Theodore Laurence, dit Laurie, animeront ce petit club exclusif et permettront parfois de débloquer des situations de tensions ou d'incompréhensions, ou au contraire provoqueront l'ire des demoiselles. Mais jamais elles n'auraient pu rêver meilleur frère de cœur dans leur entourage, et jamais elles n'auront à le regretter.


Quand viendra l'heure du bilan, alors que les fêtes de Noël approchent à grand pas, chacune et chacun aura à cœur de faire un petit examen de son âme et de ses progrès ou regrets, ne conservant ni mauvaise fierté ni secret trop lourd à porter. Quatre petites femmes, se confiant les unes aux autres et entourant d'un amour aussi sincère que partagé leurs deux parents, ainsi que toutes les personnes qu'elles croiseront et qui auront le bonheur de faire partie de leur entourage.


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Louisa May Alcott est une autrice de renom dans la littérature américaine classique de son époque, même si on lui doit également des récits bien plus imagés et saugrenus parfois que celui-ci. Qu'importe, elle sera encore et toujours retenue par l'Histoire comme la créatrice de cette petite famille March que rien n'épargne mais qui se relève toujours, progressant toutes sur le chemin du Pèlerin et affrontant les embûches sans faillir tout en rêvant aux châteaux d'Espagne.


Cette édition-ci, ré-intitulée Les Quatre Sœurs March plutôt que le désormais bien trop classique Les Quatre Filles du Docteur March, nous propose une nouvelle traduction de cette œuvre de vie magistrale, par Natalie Zimmermann, une traduction qui aura tendance à nettement rafraîchir les expressions un rien dépassées du texte original tout en recentrant l'esprit général du roman autour de la notion de sororité, si chère à l'autrice et véritable cœur fort de son histoire.


Little Women en version originale, ce premier tome appelle forcément quelques suites qui ne manqueront pas de venir garnir les étagères des bibliothèques de toutes et tous les passionné.e.s de tranches de vie comme on en a beaucoup plus l'habitude aujourd'hui qu'alors. Véritable portrait d'une génération d'entre-deux à son époque, Louisa May Alcott signe surtout le témoignage vibrant des passions et des enjeux d'une famille modeste largement inspirée de sa propre expérience, et cela ne rend le tout que plus vivant. On rie en même temps que les filles quand elles jouent leurs pièces de théâtre ou récitent les articles de leur journal privé, on pleure quand l'une tombe gravement malade après un élan de générosité sans pareil, et l'on passe globalement une excellente lecture bien qu'à un rythme assez lent je dois le reconnaître en ce qui me concerne.


De très nombreuses adaptations filmiques existent pour cette histoire, mélangeant parfois les événements de plusieurs tomes en un seul gros morceau ou changeant allègrement certains passages pour susciter une émotion plutôt qu'une autre, évoquer un problème sociétal plutôt que célébrer les joies innocentes du quotidien, etc. Dernière en date, Les Filles du Docteur March de Greta Gerwig servait admirablement le discours pré-féministe de cette grande œuvre trop souvent reléguée au rang des histoires pour jeunes filles de bonne famille. J'ai hâte de lire les tomes suivants si jamais Mme Zimmermann se met à les traduire également, dans une édition collector prestigieuse qui fait aussi la part belle à des valeurs plus actuelles tout en respectant le cœur du texte d'origine. Une histoire qu'il faut avoir lue, et que l'on devrait proposer bien plus souvent dans les corpus toutes générations confondues !


Sur ce, je vous laisse vous faire votre propre avis et je vous souhaite une bonne lecture, en espérant vous retrouver bientôt pour un nouvel article !