lundi 8 mars 2021

Si ça saigne (Albin Michel - Février 2021)


Le maître de l'horreur est de retour en ce mois de Février, avec une nouvelle sortie chez Albin Michel à se mettre sous la dent. Non pas une, mais quatre histoires, quatre nouvelles dans un recueil au visuel intriguant.


Dans Le téléphone de M. Harrigan, nous suivons l'évolution du jeune Craig, un préadolescent serviable dans une petite ville du Maine, au milieu des années 2000, alors que le monde s'apprête à faire un bond technologique de géant. Craig se rend régulièrement chez l'un de ses voisins, un vieillard richissime dont le grand âge n'a pas entamé l'esprit critique, et il lui lit des romans que l'homme ne peut plus parcourir lui-même. Au fil du temps, ils en viennent à avoir des conversations et des réflexions sur l'état du monde, sur l'avancée du progrès, et même s'il ne l'avouera jamais le vieil Harrigan se prend d'affection pour ce garçon intelligent et sincère. Lorsqu'il décède, c'est un déchirement pour Craig, qui commence seulement à comprendre le sens de la Mort. Dans un geste naïf et touchant, Craig dépose le téléphone portable de M. Harrigan dans la veste du défunt juste avant la mise en terre, une façon bien à lui de garder le contact malgré tout. De temps en temps, quand il va mal, Craig appelle ce numéro et tombe sur le répondeur, il laisse un court message, le fait d'entendre la voix enregistrée de M. Harrigan le rassure. Cependant, après une suite de fâcheux événements, Craig en vient à se poser une question qui ne le lâchera plus jamais : et si M. Harrigan était encore capable de communiquer avec lui, via ce téléphone ? Une question d'autant plus préoccupante qu'autour de Craig, les petits bourreaux que l'on rencontre tous dans la vie à divers stades de notre développement ont la manie de disparaître de sale façon. Comme si quelque chose, quelque part dans le vaste univers, se chargeait de rendre justice pour Craig quand celui-ci est mis en difficulté. Dès lors, Craig se sent responsable au moins en partie de ce qui se passe, car au fond de lui il reste persuadé que M. Harrigan n'y est pas étranger et qu'une partie de son être est restée en ce bas monde, via ce téléphone toujours actif malgré les années qui passent...


Dans La vie de Chuck, le monde est en train de disparaître morceau par morceau, avec une série de cataclysmes et de catastrophes environnementales et humaines. Alors que tout le monde attend la Fin des Temps, qui approche à grands pas chaque jour qui passe, une étrange publicité fait son apparition sur le toit d'une banque. Un texte simple accompagné de la photo d'un comptable tout ce qu'il y a de commun : ''Charles Krantz. 39 années formidables ! Merci, Chuck !''. Sans doute un départ en retraite fêté par des collègues enthousiastes... mais ce qu'il y a d'étrange, c'est que cette publicité va se retrouver absolument partout : les médias publics, les avions traçants des messages dans le ciel, sur Internet les rares fois où il fonctionne encore... qui est ce mystérieux Charles Krantz, dit Chuck, pour susciter autant d'attention à la veille de la fin du monde ??


Dans Si ça saigne, la plus longue nouvelle de ce recueil auquel elle donne son titre, nous retrouvons Holly Gibney dirigeant toujours son agence Finders Keepers, se remettant avec courage de l'épreuve affrontée dans le roman L'Outsider. Alors qu'elle s'apprête à faire une pause dans sa journée bien remplie, une nouvelle affolante supplante tous les programmes à la télé : un attentat à la bombe vient de se produire dans une école, on compte de nombreuses victimes, et tout le pays est d'ores et déjà scandalisé. Un journaliste héroïque incarne l'exemple à suivre en annonçant la nouvelle en direct et en aidant à extraire les corps du bâtiment en ruines. Chance, une caméra de surveillance a réussi à filmer le poseur de bombe, et son portrait approximatif circule déjà partout où il faut pour lancer un appel à témoins et offrir une récompense pour sa capture. Sur le moment, quelque chose d'autre que le chagrin étreint Holly, mais elle n'y prête pas attention. Cela lui reviendra plus tard, alors que l'affaire de l'Outsider résonne encore une fois dans son esprit. Quelque chose cloche dans les tragiques événements qui viennent d'avoir lieu, quelque chose d'étrange et de profondément malsain, malfaisant même. Lorsqu'elle reçoit un appel d'une mystérieuse source détenant de précieuses informations, Holly ne doute même plus, elle est sûre d'elle à présent : il existe au moins une autre créature semblable à l'Outsider, et elle est affamée... Holly prend donc son courage à deux mains et rassemble toutes les données qu'elle peut grâce à son informateur, se rendant même sur place pour le rencontrer et mettre en commun leurs histoires respectives. Déterminée à empêcher un nouveau massacre à tout prix, Holly se met en chasse de la créature, résolue à ne pas la laisser s'échapper et à la détruire avant qu'elle ne trouve un autre moyen de s'en sortir. Holly va peut-être y laisser la vie, et consciente de cette fatalité elle adresse un rapport exemplaire à son ancien partenaire qui l'a tant aidé là-bas au Texas, dans cette grotte sombre où se tapissait un monstre. Dans quelques instants, elle va replonger dans l'horreur, et cette fois elle n'en reviendra peut-être pas...


Enfin, dans Rat, un auteur de nouvelles éternellement frustré de n'avoir jamais pu achever un roman se retrouve finalement en position d'en écrire un bon, et s'embarque alors pour une virée en solitaire dans le Nord afin de s'isoler et de commencer à créer. Si les premiers jours voient cette œuvre faire ses premiers pas avec entrain, très vite un certain malaise s'installe et l'écrivain se retrouve aux prises avec ses vieux démons, alors qu'une tempête éclate tout autour de son sanctuaire. Un geste de miséricorde pourrait, cependant, lui offrir la possibilité d'achever son roman et de le voir vivre sa vie une fois édité... mais il y aura un prix à payer. Peut-on accepter de sacrifier une vie pour une obsession ? Drew ne va pas tarder à le découvrir, et du même coup à découvrir quel genre d'homme il est réellement.


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Bon, passons maintenant à la review elle-même ! Une seule chose à dire dans l'ensemble : un recueil de nouvelles comme il le fallait, quatre récits différents mais unis sous la plume du Maître de l'Horreur, quatre histoires qui portent chacune le poids du deuil, on y reviendra.


La nouvelle qui m'a le plus marqué est, sans surprise pour ma part, Rat. Je ne devrais pas dire que ce fut sans surprise, en réalité j'ai même été très surpris par le ton et la direction que prenait ce récit après les premiers chapitres. Je m'attendais à un huis-clos effrayant entre un auteur et son esprit délirant, un peu à la Shining en somme, mais Stephen King est parvenu à me prendre de court et à me balancer dans un tout autre genre horrifique, celui du conte moderne, et c'était vraiment bon ! Cette nouvelle résonne d'un écho tout particulier pour quelqu'un qui écrit également, ou tente de le faire, et on y retrouve beaucoup de situations qui ''sentent le vécu'' si je puis dire. Je ne vous gâcherai pas la surprise, c'est vraiment bon et je vous conseille cette lecture si comme moi vous avez quelques prétentions littéraires.


Pour le reste du recueil, on a affaire ici à des œuvres similaires explorant une thématique malheureusement bien ancrée dans l'esprit de Stephen King depuis quelques années : le deuil, la douleur de la perte d'un être proche. Je vous ai parlé précédemment de la dédicace de L'institut adressée à Russ Dorr, l'homme derrière la vraisemblance de nombreux chefs-d’œuvre de notre auteur favori, et à nouveau c'est le cas ici à travers ces quatre histoires qui lui sont, au moins en esprit, dédiées. La vie de Chuck et Le téléphone de M. Harrigan sont empreintes d'une certaine mélancolie propre à une personne qui tâche de surmonter une perte douloureuse et tragique. Un message d'espoir aussi, d'une certaine façon, est adressé aux lecteurs de tous genres qui partagent indirectement ce deuil. C'est toute la force de l'écriture de Stephen King, parvenir à exprimer des émotions contradictoires et à éveiller petit à petit les consciences au fil des pages qui s'enchaînent. C'est très réussi une fois de plus ici, deux très bonnes nouvelles à se mettre sous la dent et qui donnent en plus une belle leçon de vie.


Pour finir, le gros morceau : Si ça saigne...

Suite directe de L'Outsider et de la trilogie entamée avec Mr Mercedes, c'est l'occasion de retrouver le personnage de Holly Gibney au cœur d'une nouvelle enquête dans le monde du surnaturel et de l'impossible. Elle brille ici en solo, quasiment tout au long de l'histoire, ce qui permet à la fois à l'auteur et au lecteur de se faire une meilleure idée de son caractère, de son fonctionnement et de ses capacités. Un personnage féminin fort qui prend enfin tout son sens et qui redevient un élément-clé de ce petit univers horrifique, ça fait du bien aussi de lire ça de nos jours ! Bien sûr, cette histoire est la caution un peu plus commerciale du recueil, la meilleure façon de le vendre aussi, mais je pense sincèrement que c'est aussi un prétexte pour pouvoir nous faire lire et découvrir les trois autres dans le même temps, chacune éclairant les autres d'un nouveau regard, d'un nouveau sens. J'ai hâte que Stephen King nous ponde le prochain recueil de nouvelles d'ici quelques années, ne serait-ce que pour constater l'évolution de ce sentiment de recueillement.


Sur ce, je vous laisse vous faire votre propre avis et je vous souhaite une bonne lecture, en espérant vous retrouver bientôt pour un nouvel article !

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