David Grey est un lieutenant de police, inspecteur à Los Angeles, enquêtant présentement sur un meurtre sordide, probablement un énième règlement de compte entre gangs rivaux pour le contrôle des rues et des points de deal. Tout de même, le côté assez sordide de la mise à mort attire son attention plus que d'habitude, et il commence à se poser des questions. Son chef ne veut évidemment pas en entendre parler, mais David continue à mener sa petite enquête, jusqu'à ce que l'on trouve un second corps, encore plus amoché si c'était possible. Là, la chance de David va tourner.
Violemment agressé dans l'exercice de ses fonctions, David termine sur un lit d'hôpital, dont il n'émergera finalement qu'au prix d'un immense effort. Mais personne ne daigne lui répondre quand il demande ce qui lui est arrivé. En fait, personne ne lui répond tout bonnement parce que personne ne le voit ni ne l'entend, comme s'il n'existait plus. Pourtant, il parle, il marche, il respire... il existe ! Dès lors, comment expliquer cette impression de plus en plus forte de ne plus appartenir au même monde que les autres ?
Une femme, Laurel, semblant elle aussi invisible au reste du monde, le verra et le prendra sous son aile le temps de lui expliquer les règles de cette nouvelle vie qui s'offre à lui. Elle a été envoyée auprès de lui pour le guider, après tout, et lui permettre de passer un certain nombre d'épreuves que le Destin se chargera de placer sur sa route. David apprend ainsi coup sur coup que son âme lui a été dérobée par des puissances dont il vaut mieux ne pas parler à voix haute, et qu'il ne la retrouvera qu'en se rendant à New York, de l'autre côté du continent. Pour ce fait, il a un an, pas plus.
Facile, se dit-il... mais il y a des règles à respecter : n'utiliser que ses propres moyens, et ne faire qu'avec ce qui a été abandonné par les autres, ces gens pleins de vie qui se refusent à les voir Laurel et lui, et tous les pauvres vagabonds errants dans les rues et les lieux désaffectés. Parcourir tout le pays dans le sens de la longueur, d'un bout à l'autre, pratiquement à pieds tout le temps. Soit. Et il faudra aussi faire avec la météo, les caprices de la route, et surtout les multiples attaques de sinistres créatures en chemin qui ne sont destinées qu'à les retarder le plus possible.
Au terme de cette année de voyage, si David n'atteint pas la Grande Pomme dans les temps, il perdra définitivement son âme, qui s'étiolera et disparaîtra sans doute dans le vide cosmique. Ce qui reste de lui deviendra alors en tous points similaire à ces fameuses créatures qui se nourrissent du malheur des autres, du manque de considération du genre humain pour ses propres faiblesses, et de celles et ceux que l'on abandonne trop souvent à leur propre sort sans plus se soucier d'eux. Autant dire que David a plutôt envie de récupérer son âme, si tant est qu'il puisse croire pleinement en cette histoire abracadabrante. Très vite pourtant, les doutes vont s'envoler à mesure que le duo progresse sur la longue route, et les épreuves qu'il devra relever achèveront de convaincre l'ancien inspecteur de la police criminelle de Los Angeles, pour peu qu'il suive les règles avec sérieux et attention.
Plusieurs fois la tentation sera grande de se détourner du chemin, de céder à la peur, à la colère, au déni... mais Laurel fera toujours en sorte que David sache qu'il n'est pas seul au long de ce périple. Laurel, cette femme si mystérieuse et taciturne, semblant en connaître un rayon sur ce monde et d'autres, sur ce qu'elle appelle l'Entre-deux, où gisent les épaves et les laissés pour compte. Pour elle aussi, ce parcours est une sorte d'épreuve, mais elle ne perdra pas la même chose que David si elle échoue dans sa lourde tâche de guide et de protectrice. Non, elle perdra bien plus encore. Le Temps s'écoule, et le voyage vers la Nation de Minuit vient à peine de commencer...
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Joe Michael Straczynski a un jour lui-même affirmé que Midnight Nation était le travail dont il était le plus fier dans sa carrière. Je ne sais pas si c'est toujours d'actualité, étant donné que le bonhomme est quand même sacrément productif, mais en tout cas ça se ressent pleinement dans toute l'attention qu'il a porté à l'écriture du scénario ainsi qu'au choix du dessinateur, son compère Gary Frank qui sait toujours admirablement illustrer les idées de l'auteur tourmenté.
Dans cette édition intégrale datée de 2014 chez nous, Delcourt nous permet de nous plonger dans la lutte incessante entre l'Espoir et le Renoncement, entre accepter de faire son deuil de certaines choses et s'y accrocher au contraire de toutes ses forces, pas toujours pour le mieux suivant la situation. Il y a toute une métaphore filée du début à la fin du récit, que je ne vous gâcherai pas ici en vous la racontant ou en vous l'analysant plus que de raison, sachez simplement que Straczynski a vraiment bien réfléchi à son sujet et que ça lui a pris énormément de temps de réussir à coucher tout ça sur le papier et d'en faire quelque chose au bout du compte.
Comme le précise l'auteur lui-même dans la postface, cette histoire lui est venue à l'esprit après une très mauvaise expérience personnelle, ou plutôt une suite de très mauvaises expériences personnelles, en 1978 quand il résidait à San Diego. Une ville qui était alors bien différente de ce qu'elle est de nos jours, et qui offrait au monde deux visages bien distincts, le jour ou la nuit venus. Straczynski a fait l'expérience du mauvais côté de cette ville, et s'en est remis presque miraculeusement, le poussant à réfléchir en profondeur à bien des choses et faisant doucement germer dans son esprit la graine qui donnera, presque vingt ans plus tard, l'un de ses plus grands chefs-d’œuvres. Et je pèse mes mots !
Ça n'a l'air de rien comme ça, peut-être encore un énième récit de parcours initiatique à la recherche de la connaissance de soi pour mieux vivre ou mieux apprécier la Vie dans son ensemble, etc. Mais fondamentalement Midnight Nation est bien différente du reste de la production à l'époque, cette mini-série rassemble énormément de thématiques diverses mais complémentaires qui nous offrent un récit vraiment magnifique sur la quête éternelle de l'Espoir, qui vous marquera quelle que soit votre religion ou simple courant de pensée. C'est le genre d'histoire qui finit par être terriblement intemporelle, marquant tout le monde d'une façon ou d'une autre, et traversant les générations en portant toujours le même message, que l'on doit simplement accepter d'entendre, nous autres lectrices et lecteurs du monde tangible. Comprenne qui voudra.
Sur ce, je vous laisse vous faire votre propre avis et je vous souhaite une bonne lecture, en espérant vous retrouver bientôt pour un nouvel article !
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