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Variant cover by Tula Lotay |
Dani est une jeune femme répondant à un certain stéréotype : Asiatique mais également Américaine, elle incarne une certaine liberté d'esprit et de mœurs que sa culture d'origine ne saurait lui offrir ou lui destiner. Codeuse de génie, elle avait tout un avenir devant elle, une véritable autoroute virtuelle prête à l'entraîner vers les sommets.
Jusqu'au jour où elle fît une crise. Paranoïa aiguë, délire de persécution, angoisses profondes pour son entourage... nervous breakdown à la clé. Le seul moyen qu'elle a trouvé, au bout de trop longs mois de souffrances, pour s'en sortir, c'est de se forger une identité virtuelle répondant à tous les codes et fantasmes du genre. Devenir une Camgirl. Sous le nom de Kyoko, elle génère des centaines de dollars chaque semaine en posant à demi-nue, voire totalement nue, avec accessoires si besoin, de quoi émoustiller ses viewers et leur offrir du spectacle sexy sans retenue autre que celle qu'ils voudront bien acheter avec leurs tips, de plus en plus généreux et fréquents à mesure que la notoriété de Kyoko grandit.
Cette résurrection virtuelle dans sa nouvelle peau, Dani la vit pleinement et brûle la chandelle par les deux bouts, se droguant à foison et sortant dans des soirées très hot, très tardives, en compagnie de son petit-ami officiel et de sa meilleure amie qu'elle laisse toutefois volontairement hors du coup concernant son ''métier''. Une vie rêvée de starlette du net cochon, comme on l'imagine. Pourquoi s'embêter à penser au lendemain quand on peut tout avoir tout de suite sans faire beaucoup d'efforts ? Aux autres de se montrer imaginatifs, créatifs et surtout généreux.
Mais tout bascule le jour où Dani se retrouve harcelée en ligne et sur son propre numéro de portable par un fan obsessionnel qui semble la connaître sur le bout des doigts, l'enjoignant à risquer toujours plus gros, lui versant toujours plus d'argent pour acheter sa place auprès d'elle dans son chat, se faisant symboliquement passer pour son Chevalier_en_armure_brillante pour mieux la terroriser avec des détails personnels et des menaces à peine voilées.
Dani tente tout d'abord de relativiser, ce n'est sans doute qu'un illustre inconnu de plus qui veut se faire mousser sur Internet, toutes les Camgirls en ont des tonnes comme ça, encore plus si on élargit le champ d'activités. Mais les menaces se font de plus en plus insistantes, dangereusement proches du réel, au point que Dani finit par aller voir la police pour déposer une plainte... qui ne sera absolument pas prise au sérieux, en raison de son métier et en raison surtout de son passif psychiatrique.
Et pendant tout ce temps, sa descente aux Enfers se poursuit entre les mains virtuelles mais omniprésentes du Chevalier_en_armure_brillante, qui veut maintenant la pousser jusqu'au suicide pour son propre plaisir ! Les messages se font de plus en plus pressants, de plus en plus violents, le harcèlement est constant, tant et si bien que Dani décide de prendre une période de pause loin de ses écrans et de sa vie en ligne. Mais rien n'y fait, elle se retrouve toujours dans la peau de Kyoko et personne ne semble en mesure de la protéger à la fois de son harceleur, mais surtout d'elle-même quand elle est en détresse manifeste.
Alors, au comble du désespoir, un plan commence à germer dans son esprit, un plan osé mais payant puisqu'il lui permet de se sortir de cette situation intenable en exploitant les faiblesses évidentes de son agresseur, en révélant sa face cachée au monde entier, en se révélant elle-même aussi au passage. C'est risqué, mortellement risqué, mais ça en vaut la peine pour sortir enfin du cauchemar. A condition toutefois de savoir en qui elle peut avoir une confiance absolue dans son entourage, car elle en est persuadée maintenant, le Chevalier_en_armure_brillante fait partie intégrante de ses proches...
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J'aimerai que l'on passe outre les habituelles descriptions du graphisme ou du scénario maîtrisé ou non pour s'intéresser tout particulièrement au thème et au vécu derrière ce one-shot de Sarah H. Cho chez AWA-Studios.
A mon sens, ce qui a le plus d'intérêt dans ce fascicule d'une quarantaine de pages, c'est la conclusion apportée par l'autrice elle-même dans une lettre ouverte, un manifeste de deux pages qui nous explique par quels dangers elle est elle-même passée durant sa carrière en ligne et quelles étaient alors ses difficultés psychiques à surmonter. Son héroïne est forte, assez pour berner son monde sur Internet, mais pas assez pour se berner elle-même sur le long terme quand sa vie virtuelle prend le dessus sur tout le reste.
Particulièrement sensibilisé aux questions de paranoïa, de clichés des genres et de déterminisme social, je ne pouvais que me sentir mal à l'aise durant cette lecture, qui pour autant s'est avérée cathartique chez moi et foutrement nécessaire au final. J'espère avoir compris correctement ce qu'il y avait à comprendre et ne pas avoir interprété les choses de travers, moi qui honnêtement je le reconnais ne suis pas la cible-première de cette histoire, de ce récit, de ce témoignage de vie brisée que l'on tâche de se reconstruire comme on peut malgré les embûches.
Camgirl relevait d'un simple ''choix selon la couverture'' quand je l'ai sélectionné pour en faire une de mes lectures rapides en single-issue et vous la présenter ensuite, mais s'est très vite montrée beaucoup plus riche que ce que j'imaginais, beaucoup plus douloureuse aussi mais nécessaire comme je le disais. En un sens, j'étais tout de même proche de la cible.
Pour sa prise de conscience des stéréotypes qui minent notre société moderne ultra-connectée et misogyne à en crever. Pour sa prise de parole en faveur des plus démunies, de ces femmes jeunes ou non qui ne vivent qu'au crochet des pervers et qui dérivent dans la drogue, l'abandon et la mort au bout du chemin. Pour Dani, pour Kyoko, pour Sarah. Pour toute la force de vie que l'on ressent en sortant de cette lecture difficile mais résolument optimiste malgré sa noirceur.
Pour toutes ces raisons et plus encore, Camgirl est un titre qui doit vous amener à réfléchir sur bien des choses, à commencer par votre façon de consommer Internet, d'interagir avec les femmes, sur la bien-pensance dont on pense faire preuve alors que l'on ne fait que blesser autrui par de vaines attentions, sur la façon dont on se comporte quand on pense qu'un pseudo nous dissimule efficacement et pour toujours.
Lecture difficile, lecture nécessaire, lecture salutaire. Je n'ai qu'une profonde admiration pour Sarah H. Cho qui a su se relever de toutes les épreuves qu'elle nous raconte ici par l'intermédiaire de son personnage de Dani/Kyoko, et j'espère avoir contribué à mon maigre niveau à faire connaître un peu plus ce titre sortant largement du lot de la production comics habituelle.
Pour lecteurs avertis !
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