Pour ses huit ans et la cérémonie qui devra faire d'elle une déesse à part entière, une jeune fille reçoit un nom : Coré. Signifiant aussi bien la pureté que la naïveté, ce nom décerné par Zeus en personne, père de la fillette, vise à la diminuer et à doucher ses aspirations de grandeur. Déméter, sa mère, déesse de la Nature, va alors la cloîtrer sur son île, la Sicile, durant les années suivantes, afin de lui permettre de faire éclore son modeste talent de déesse des Fleurs, et surtout d'être protégée des visées et velléités des autres divinités.
Les années passent, et ce que Coré apprend auprès de sa mère ne suffit plus à apaiser sa soif de pouvoir et de connaissances. Les nymphes se chargent de son éducation plus grivoise, de la dévergonder un peu, mais dans l'ensemble elle reste une fille sur-protégée et ignorante de ce que le vaste monde lui réserve. Pourtant, sous peu, elle devra prendre un époux. Ses parents s'apprêtent d'ailleurs à le lui choisir, parmi tout un ensemble de prétendants avides de faire main basse sur la petite merveille si longtemps cachée de tous.
Alors, en désespoir de cause et pour échapper à un sort qui lui apparaît pire que la mort, dans un monde dicté par la culture du viol et le patriarcat, Coré se rend dans une prairie où elle invoque le nom du seul dieu en qui elle place toutes ses chances : Hadès, seigneur du monde souterrain, souverain des Enfers. Le dieu sombre accepte de lui accorder une audience... et se retrouve alors pris au piège d'un stratagème dont personne n'aurait cru la jeune femme capable.
Contraint de lui offrir l'hospitalité et de veiller sur elle durant son séjour aux Enfers, Hadès ne s'avoue pas vaincu pour autant et distillera aussi bien les remarques acides et les insultes à demi voilées pour dégoûter son invitée et la pousser à partir, mais rien n'y fait, Coré a les Enfers dans le sang et commence à sincèrement s'éprendre de ce qui ne devait être qu'une solution de repli pour elle, afin de se soustraire à ses prétendants et surtout à ses parents.
Commence alors une lente histoire d'amour, débutant par une amitié sincère et un respect mutuel, quelques confidences honnêtes et secrets révélés, pour finalement devenir une union de façade aux yeux de toutes et tous afin de protéger celle qui désormais se nomme Perséphone, celle qui sème le chaos. Apprenant chacun l'un de l'autre, à s'apprécier et à s'entendre malgré leurs différences qui ne les rapprochent que davantage, Perséphone et Hadès vont lier leurs destins à jamais, contre les volontés de l'Olympe et du Roi des Dieux.
Et petit à petit, de grands changement s'opèrent dans le royaume souterrain. Les âmes des défunts gagnent en lucidité, le territoire lui-même évolue et devient moins lugubre, se transformant rapidement en un au-delà viable où les justes sont récompensés et les mauvais punis. Perséphone s'éveille à sa véritable nature, à son véritable pouvoir, celui qui a toujours couru dans ses veines et que Zeus tentait d'étouffer dès son plus jeune âge. De fille brimée, la déesse devient femme épanouie et libre, maîtrisant sa destinée et traçant sa propre route, en compagnie d'un dieu qu'elle en est venue à aimer le plus sincèrement et le plus passionnément du monde. Chacun s'ouvre à l'autre, et le couple ainsi formé est maintenant prêt à entrer dans la légende...
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Il ne faut jamais juger un livre d'après sa couverture. Je vais vous faire une confidence : je le fais bien trop souvent. Mes actes d'achat sont régulièrement dictés, quand il s'agit de nouveautés totales dont j'ignore tout de prime abord, par un visuel attirant qui éveille quelque chose en moi. Ce coup-ci, la teinte violette et la promesse de revisiter en profondeur un mythe qui me passionne depuis longtemps m'ont suffit et m'ont poussé à acheter ce livre.
Et j'ai eu fichtrement raison !
Alors, on ne va pas se mentir, ce roman ne révolutionne pas le genre de la fantasy. Ni de la romance. Mais si on combine ces deux domaines avec une solide érudition des mythes et légendes de l'Antiquité Grecque, et qu'on y ajoute une pincée de provocation et un langage contemporain qui pourrait dépareiller par rapport à nos attentes initiales, on obtient un vibrant hommage à la soif de liberté et d'émancipation de toute une partie de notre humanité bien trop longtemps réprimée.
L'autrice, Bea Fitzgerald, lâche la bride en ce qui concerne le vocabulaire et se fait plaisir tout en simplicité, en utilisant des codes relationnels très actuels pour décrire et retracer l'histoire d'un couple mythique que beaucoup d'autres artistes s'échinent à représenter depuis quelques années, comme si tout un pan de la culture d'aujourd'hui s'emparait corps et âme de cette histoire, de cette héroïne d'un temps oublié, pour exprimer un flagrant désir de liberté et de sincérité amoureuse.
Il n'y a qu'à citer d'autres titres de la culture-pop, comme par exemple Lore Olympus ou Punderworld pour rester dans la bande-dessinée, et la myriade de romans et récits de jeunes auteurs et autrices que je vois fleurir depuis deux ou trois ans déjà dans les rayons, tous passionnés de cette vie fantasmée aux Enfers et impatients de réécrire, de se réapproprier la Mythologie avec un grand M. Et en toute franchise, c'était une expérience très rafraîchissante et rassurante pour un premier roman en plus !
On sent que ce manuscrit a bénéficié de plusieurs regards attentifs et attentionnés, qu'il y a eu, pour changer, un vrai travail de relecture et de correction ne serait-ce que pour éviter la plupart des écueils que rencontrent trop souvent les premiers récits, et le résultat final est plutôt encourageant dans le bon sens du terme et donne envie d'en découvrir davantage sur ce qui pourrait, peut-être, devenir une nouvelle franchise si les augures sont bons.
Je reviens un instant sur le côté simple mais érudit de ce roman afin de mieux vous expliquer cette subtile nuance. Les personnages ne mâchent pas leurs mots, les dialogues sont vivants et vibrants de cette sincérité qui fait souvent cruellement défaut dans ce domaine les premières fois, et pourtant l'autrice parvient aussi à nous enseigner des us et coutumes pointus de la Grèce Antique, les rituels précis autour du mariage, des comportements à la cour, etc. Ici et là vous trouverez un terme bien précis et rapidement identifiable pour nommer correctement les choses, les notions, les usages de cette époque révolue mais qui continue de nous fasciner toutes et tous autant que nous sommes.
Seul petit défaut, parce qu'il faut vraiment chercher en profondeur pour en trouver un de valable : je trouve, personnellement, que malgré tous leurs bons sentiments et leur affection réelle, les dieux souverains traitent un peu les humains comme de la chair à canon, ou pire encore, comme une monnaie d'échange ayant court durant les négociations tendues entre les royaumes divins. L'ego l'emporte encore trop souvent et énormément de vies si fragiles sont fauchées parce que les personnages principaux attendent trop longtemps avant de prendre LA bonne décision... mais dans un monde où il y a de façon sûre et certaine une vie après la Mort, pourquoi s'en faire au fond ?
Je chipote, et vraiment dans l'ensemble c'était une très bonne expérience et une très belle découverte, que je conseille à toutes celles et tous ceux qui voudraient un bon exemple de franchise en littérature récente, de spontanéité aussi. Dans votre démarche d'écriture, acceptez vos défauts pour ce qu'ils sont et sachez en faire vos principales forces, c'est un trait de caractère qui peut transformer un récit jugé passable en une œuvre qui restera un moment dans les mémoires et qui touchera réellement son public. Espérons que La Reine des Enfers reviendra dans les années à venir aux commandes de nouvelles péripéties !
Sur ce, je vous laisse vous faire votre propre avis et je vous souhaite une bonne lecture, en espérant vous retrouver bientôt pour un nouvel article !